Maladresse, quand tu nous tiens (Dedalus)

Lily se sentait particulièrement fatiguée, et si cela ne tenait qu'à elle, elle serait déjà dans son lit, enroulée dans sa couette. Elle n'avait jamais été une couche-tard, c'était son moindre défaut. Les nuits blanches, très peu pour elle. Et pour cette raison, faire des rondes au sein de l'école pour vérifier que les élèves respectaient le couvre-feu n'était définitivement pas ce qu'elle préférait dans son rôle de préfète, mais elle s'y tenait malgré tout avec beaucoup de sérieux, comme Lily faisait toujours tout avec le plus grand sérieux.

Cela faisait un an maintenant que l'insigne de préfète brillait sur sa poitrine, elle espérait que l'année prochaine, elle aurait la chance d'être nommée préfète en chef. Elle estimait que c'était un honneur et un privilège d'avoir été choisie à ce titre, et donc, elle avait envie de s'en montrer digne, du mieux possible, et de faire les choses bien. De toute façon, ce serait vite vu. Ils s'étaient répartis la tâche entre préfets, il s'agissait juste de faire un rapide tour d'horizon avant que chacun ne retourne à son propre dortoir et ne profite de sa nuit.

Et Lily pensait que ce serait rapide. Elle avait fait le tour de quelques cachots, jeté un oeil aux cuisines (c'était à elle qu'on avait confié la responsabilité de faire sa ronde dans les sous-sols de l'école cette nuit - ce qui était clairement l'endroit où elle était le moins à l'aise mais tant pis), et elle s'apprêtait à faire demi-tour, convaincue qu'il n'y aurait rien à signaler. Mais ça, c'était avant de percevoir du mouvement dans son dos. Peut-être juste une impression, ça lui arrivait parfois, surtout quand elle se retrouvait dans cet espace qu'elle trouvait assez sinistre (elle ne savait vraiment pas comment les Serpentards et les Poufsouffles faisaient pour apprécier y avoir leur dortoir).

"Il y a quelqu'un ?"

Elle se retourna, elle pensait effectivement entrapercevoir quelqu'un dans la pénombre.

"Lumos."

A la lueur de sa baguette, elle put reconnaître la silhouette d'un de ses camarades de classe.

"Dedalus... J'imagine que tu as une explication très crédible pour expliquer ta présence ici après le couvre-feu ?"

C'était dit presque avec humour tant Lily était habituée à présent aux mésaventures rocambolesques de Dedalus qui faisaient qu'il se retrouvait bien souvent au mauvais endroit au mauvais moment, sans pourtant l'avoir cherché. Gaffeur malgré lui, ce qui le rendait assez attachant, mais tout de même en infraction au règlement.

« Euh… si tu me laisses le temps d’y réfléchir, je pense pouvoir trouver oui. »

Lily croisa les bras. Avec des personnalités comme celles de Dedalus, il fallait s'attendre à ce genre de réponses, et elle avait fini par s'habituer. Cela ne voulait pas dire qu'elle allait se montrer moins sévère sous le prétexte qu'il était parvenu à lui décocher une esquisse de sourire, mais elle préférait ce genre de réponses aux mensonges effrontés que lui servaient certains, parfois, qui manifestement sous-estimaient plus que grandement son intelligence.

Et qui plus est, même si Dedalus se retrouvait toujours dans les pires situations possibles, et parfois contre son gré, ses intentions n'étaient jamais malveillantes, du moins de ce qu'elle en savait, ce qui renforçait évidemment son capital sympathie auprès d'elle.

"Ce n'est pas ce que je te demande", répondit la rouquine, les bras toujours croisés, l'air mi-sévère, mi-amusée. "Toutes les excuses du monde ne te sauveront pas de toute façon, infraction du couvre-feu, c'est dix point de moins pour Gryffondor, et crois-moi, ça ne me fait pas plus plaisir qu'à toi. Et je vais devoir en parler au professeur McGonagall."

Elle laissa passer un temps de silence.

"Alors le moins que tu puisses faire, c'est au moins de me répondre sincèrement, ça nous fera gagner du temps, et ça fera la conversation le temps que je t'accompagne jusqu'à la salle commune."

L'adolescente était très fière d'être devenue préfète de sa maison. Pour elle, c'était un honneur, quelque chose qu'elle devait respecter et surtout prendre très au sérieux. Elle estimait qu'en tant que née-moldue, elle devait faire d'autant plus ses preuves que les autres sorciers, et elle comptait faire les choses plus que convenablement.

Même si cela devait la faire passer pour la revêche de service, elle respecterait son rôle. On lui avait confié de vraies responsabilités, et elle n'avait aucune intention de s'y dérober.

Si Dedalus attendait d'elle qu'elle fasse preuve de générosité ou qu'elle fasse des exceptions pour certains de ses camarades, ça n'arriverait pas.

Même si elle appréciait Remus, elle le trouvait parfois trop conciliant, et à ses yeux, elle n'avait que d'autant plus la responsabilité d'équilibrer la balance en se montrant, de son côté, intransigeante et surresponsable.

« Je ne vois pas ce que ça changera. »

Lily leva les yeux au ciel. Si elle appréciait Dedalus, en soi, elle avait du mal avec ce genre de comportements, pour tout dire. Quitte à être pris la main dans le sac, elle préférait l'honnêteté à la dérobade. Surtout que dans le fond, c'était aussi l'occasion pour son camarade de se donner des circonstances atténuantes, s'il y en avait, mais il faut croire qu'il n'y en avait pas.

"Je ne vois pas pourquoi ça devrait changer quoi que ce soit, est-ce qu'il faut absolument que ça change quelque chose ?" rétorqua Lily du tac-au-tac.

D'accord, elle ne pouvait pas obliger son interlocuteur à lui parler s'il ne le voulait pas, mais ils étaient supposés faire quoi ? Marcher dans le silence le plus total jusqu'à leur salle comune. Lily estimait avoir le droit d'être curieuse, et demander des explications faisait techniquement partie de ses attributions de préfète au demeurant.

Enfin, peut-être qu'il se braquait juste parce qu'elle jouait son rôle en sa compagnie, justement, mais c'était comme ça, la rouquine était intransigeante. Elle ne faisait pas dans le traitement de faveur ou dans le laxisme (comme elle pouvait parfois reprocher à Remus de le faire quand il était question de ses meilleurs amis, notamment).

Elle était fière d'avoir obtenu son insigne de préfète, pour elle, ça voulait dire quelque chose, c'était non seulement un symbole mais aussi un responsabilité, et elle voulait se montrer autant digne de ce que son insigne symbolisait que des responsabilités qui lui étaient imputées.

"Tu sais, ce serait l'occasion de t'inventer une excuse en or pour te tirer d'affaire", ajouta-t-elle avec le sentiment qu'elle allait devoir faire la conversation toute seule. "Même si j'apprécie que tu n'essaies pas de me mentir, au moins." Elle marqua une pause. "Mais quand même, j'ai le droit d'être curieuse..." Même si elle n'en avait pas le droit, d'ailleurs, ça faisait partie de son caractère dans tous les cas. Ils marchèrent quelques instants, l'écho de leurs pas résonnant dans les couloirs qu'ils traversaient avant de reprendre. "T'es allée trouver une fille, c'est ça ?"

Que ce soit vrai ou pas, elle le demandait sur un ton léger, comme une manière de détendre l'atmosphère. Après tout, Dedalus n'avait pas non plus commis un crime de lèse-majesté, il avait juste violé le couvre-feu.

« Je suppose que tu as le droit oui, mais ta curiosité n’est pas vraiment portée sur les bons sujets. »

"Quitte à te faire écoper d'une retenue j'essaie de rendre la conversation un minimum agréable, écoute. Tu es bien plus bavard en temps normal. Si mes questions ne te plaisent pas, tu n'as qu'à trouver un autre sujet de conversation, en attendant, je laisserai parler ma curiosité autant que je le décide."

Au fond, c'est vrai qu'elle pourrait ranger sa curiosité, mais la rouquine était comme ça : quand elle avait des questions à l'esprit, elle les posait, un point c'est tout, et elle ne voyait pas d'intérêt à en passer par quatre chemins. Elle disait ce qu'elle le pensait, et elle le disait sans l'ombre de la moindre hésitation.

Et d'ailleurs, plus il se montrait réfractaire à lui répondre, plus elle se sentait curieuse, en réalité, parce qu'elle se disait que s'il ne lui répondait pas tout simplement, c'est peut-être parce que ce qui avait motivé sa petite expédition nocturne était encore moins contraire au règlement de l'école que la violation du couvre-feu en elle-même.

« Très drôle. J’étais juste allé aux cuisines. »

"Et qu'est-ce que tu es allé faire aux cuisines ? Faut penser à manger à sa faim au dîner", répliqua Lily.

Oui, il allait continuer de la trouver trop curieuse, mais ça lui était égal. Elle l'était bel et bien, et même s'il se pouvait que Dedalus ait juste eu un petit creux, ça ne justifiait pas pour autant, même pas du tout à ses yeux, de se rendre dans cette pièce qui de toute manière était supposée demeurer hors d'accès aux élèves peu importe l'heure de la journée.

Certes, la manière d'y accéder était un secret de polichinelle, et même Lily avait bien dû y faire un tour un jour, mais ce n'est pas pour autant qu'elle allait cautionner un tel comportement, vous imaginez bien.

Alors oui, elle poursuivait son interrogatoire comme si de rien n'était, et sans redouter d'être intrusive. Après tout, ce n'était pas elle qui était en tort, à l'heure actuelle, c'était bel et bien son interlocuteur, et donc, il avait plutôt intérêt à ne pas se la ramener. Mais ce serait bien mal lui connaître.

« Tu as peur que je me mette à pleurer si jamais tu ne tentes pas de te montrer agréable ? Ce n’est pas que tes questions ne me plaisent pas, c’est juste que j’ai le sentiment que tu te forces. »

Bon, il ne l'aidait définitivement pas, mais en même temps, il n'était pas vraiment là pour lui mener la vie facile. Ce n'était pas qu'elle voulait absolument lui faire la conversation, mais elle préférait les discussions d'usage aux grands silences pesants, et pour le coup, il ne l'aidait pas.

Bien sûr qu'elle se forçait, elle se forçait parce qu'en retour, elle ne recevait aucun répondant, et forcément, elle n'appréciait pas cela, comment le pourrait-elle ? Elle n'allait pas prétendre qu'ils étaient tous les deux les deux meilleurs amis du monde alors que ça n'avait jamais été le cas.

Elle ne pensait pas que cela les empêchait d'être courtois. Mais pour l'être un minimum, il fallait que Dedalus le soit au moins en retour. Mais il avait sans doute raison : ils n'étaient pas là pour faire la conversation dans tous les cas.

« J’ai mangé à ma faim, je ne vois pas trop ce que ça change. Les garçons ont souvent faim, c’est la croissance. »

"Oui, elle a bon dos, la croissance", s'agaça la rouquine qui trouvait ça un peu simple. "Dans tous les cas, ça ne change rien, les règles sont les règles et l'accès aux cuisines est interdit. En fait, l'accès à toutes les ailes du château qui ne sont pas ta salle commune est interdit, et tu devrais le savoir, non ?" fit-elle alors en ne prenant Dedalus pour plus naïf qu'il n'est qu'en apparence.

Car oui, elle estimait bel et bien que le rouge et or se payait sa tête. Il prenait l'école de magie pour son terrain de jeu, et elle, de son côté, elle s'efforçait, en bonne préfète, de faire respecter le règlement de l'école de magie.

Après tout, c'est son rôle et c'est un rôle qui lui tenait à coeur. C'était pour cela qu'elle agissait ainsi, quitte à se montrer désagréable avec ses camarades. Elle privilégiait le devoir, le rôle qui lui avait été attribué, et il lui tenait à coeur de faire les choses bien, ou le plus justement possible en tout cas.