Retrouvailles entre meilleurs amis [PV Dorcas]

Dorcas était impatiente. Quand elle avait su que Margaret avait été employée comme psychomage à Poudlard, elle avait applaudi des deux mains. D'une part parce qu'il était évident que les élèves de l'école (et pas forcément que les élèves) en auraient le plus grand besoin - et Margaret serait largement à la hauteur des attentes de l'école. D'autre part parce qu'elle retrouvait ainsi son amie la plus ancienne et la plus précieuse.

Dorcas était parfois secrète et renfermée, mais avec Margaret, elle ne l'avait jamais été. La psychomage était certainement la personne qui la connaissait le mieux en ce bas monde. Elles savaient absolument tout l'une de l'autre - le meilleur certes, mais le pire aussi, et cela n'avait fait que consolider une amitié ancienne de plusieurs années.

Malgré le temps écoulé et leurs responsabilités respectives, elles avaient toujours mis un point d'honneur à se voir aussi régulièrement que possible, et le fait qu'elles travaillent toutes les deux au même endroit maintenant devait forcément leur faciliter très largement la tâche.

Margaret lui avait proposé qu'elle passe un peu de temps ensemble dans son bureau, histoire de bavarder et de prendre le thé, et Dorcas n'avait pas hésité une seule seconde avant de répondre par la positive. Ce serait avec très grand plaisir, bien sûr. Elle était curieuse de voir comment son amie était installée dans son bureau, et elle était par ailleurs ravie de pouvoir bavarder avec elle, peu importe de quoi elles décideraient de discuter.

Dorcas, alors qu'approchaient les coups de seize heures, avait donc délaissé les copies qu'elle était en train de corriger pour rejoindre Margaret dans son bureau. Ce n'était pas du luxe. Sa classe de deuxième année avait un peu du mal avec son cours, ou bien avec elle (elle ne savait pas trop), et les copies n'étaient pas bien fameuses. Elle n'était définitivement pas contre une petite pause.

Elle frappa à la porte du bureau de son amie et entra quand cette dernière l'y invita, sourire aux lèvres.

"Bonjour Margaret", la salua-t-elle avec enthousiasme, ravie de cette interlude dont elle aimait à penser qu'elles avaient autant besoin l'une que l'autre. "Comment vas-tu ? Il est superbe ce bureau, tu l'as parfaitement bien aménagé."

Ce n'étaient pas des compliments en l'air. Ce bureau était en effet élégant et confortable. En fin de compte, il était à son image.

« Dorcas, tu m’as manqué ! »

Dorcas sourit. Elle aimait la sincérité avec laquelle Margaret s'adressait à elle et l'avait toujours fait. Elle savait que les mots n'étaient pas prononcés pour la brosser dans le sens du poil mais parce qu'elle le pensait réellement, et c'était complètement réciproque.

Margaret avait beaucoup manqué à Dorcas également. Et elle n'avait aucun problème à l'admettre. Depuis le décès de son époux et de sa fille, elle plaçait ses relations amicales au sommet de ses priorités, avec bien sûr l'éducation de ses élèves. Et elle avait été impatiente de pouvoir discuter à nouveau de tout et de rien avec Margaret, qui était définitivement la personne qui la comprenait le mieux dans tout Poudlard.

« N’est-ce pas que c’est joli ! Je n’ai pas encore décidé si je mets les armoiries des Janeway sur le mur ou pas. Tu en penses quoi ? »

"Eh bien... est-ce que tu es vraiment sûre de vouloir avoir ces armoiries en visuel tous les jours ?" demanda-t-elle avec un sourire.

C'était demandé avec légèreté, mais tout de même, Dorcas savait que tout ce qui concernait la famille de Margaret était... compliqué. Et ce ne pouvait être une bonne idée que si elle était confortable avec cela.

« Viens ! Installe-toi ! Tu veux du thé ? Du jus de fruit ? Il y a des gâteaux, sers-toi ! »

Dorcas ne se fit pas prier et s'installa bel et bien. Gourmande et sentant déjà son estomac gargouiller, elle n'attendit pas plus longtemps pour se servir bel et bien. Elle se versa un grand verre de jus de fruit, un verre dans une main, un gâteau dans l'autre, il n'en fallait pas plus pour que Dorcas se sente encore mieux : la meilleure des compagnies et une parfaite collation : que pourrait-elle demander de mieux ?

« Ca fait combien de temps, maintenant ? Un mois, deux mois ? Quoi de neuf depuis tout ce temps ? »

"Quasiment deux mois, tu dois avoir raison", constata Dorcas après un instant de réflexion. "Beaucoup trop longtemps, en tout cas, ça c'est une certitude", ajouta-t-elle avant de croquer avec gourmandise dans un biscuit. "J'ai été totalement accaparée par les cours. Je ne pensais pas que ça me passionnerait autant, d'enseigner, mais j'ai vraiment l'impression de savoir me rendre... utile." Et elle en avait eu le plus grand besoin. Celui de se reconstruire. "Comment ça se passe pour toi ? Tes nouvelles fonctions te plaisent ?"

« Eh bien tu sais, je les avais dans mon cabinet à Londres. Cela dit, ce bureau est plus petit. Et compte tenu de la conjoncture, je ne voudrais pas que ça pose des problèmes. Je n'en sais rien, il faut encore que j'y réfléchisse. »

Dorcas préférait ne pas donner à son amie d'opinion tranchée sur la question. Ce n'était pas, dans tous les cas, à elle de décider à sa place. Elle ne pouvait que faire quelques observations, mais au bout du compte, c'était à Margaret de décider ce qui la mettait le plus à l'aise.

Margaret le savait sans doute, d'ailleurs, elle ne prononçait ces mots que pour articuler le fond de sa pensée à voix haute, chose que Dorcas faisait bien souvent de son côté aussi. L'on n'attendait pas forcément de ses amis, même les plus proches, qu'ils prennent les décisions à votre place, en revanche, l'on appréciait souvent de pouvoir tout simplement et agréablement dérouler ses pensées à mesure qu'elles nous venaient, peu importe leur teneur, sans ressentir le besoin ou la nécessité de les garder pour soi.

« Moi aussi j'ai eu tellement de travail. Tout mon petit monde me passionne mais j'en oublie la réalité parfois. Je regrette presque de ne plus pouvoir suivre tout le monde d'ici. Mais je ne pouvais pas refuser l'offre de Poudlard, pas avec Abe Rosier ici. Si je peux la suivre à plein temps, je ferai tout ce qu'il faut pour. »

Elle ne doutait pas en effet du fait que Margaret avait un planning très chargé. Margaret avait toujours été investie et passionnée par son travail, et elle le prouvait au quotidien. Dans un contexte tel que Poudlard, où les tourments adolescents font la loi, elle devait avoir du pain sur la planche, et connaissant Margaret, elle voulait bien croire que si cela ne tenait qu'à elle, elle inviterait le moindre élève de l'école, voire même le moindre professeur, à prendre place dans ce même bureau. Elle avait le cœur sur la main, et elle était une psychomage efficace, alors ça coulait de source.

Et bien sûr, il y avait le cas particulier que représentait Abiagail Rosier. Une élève dont Dorcas ne savait et donc ne pensait pas grand-chose, mais dont elle savait en revanche qu'elle avait le plus grand besoin d'un suivi psychologique au quotidien. L'investissement dont Margaret était capable pour les personnes qu'elle suivait au quotidien, au point peut-être de s'oublier elle-même parfois, était une chose remarquable, que Dorcas ne se lasserait jamais d'admirer chez son amie.

« C'est important que ton travail te plaise, il ne s'agit pas que d'utilité, tu sais ! En ce qui me concerne, c'est assez compliqué dans une école. Dans mon cabinet, la plupart des personnes viennent d'elles-mêmes parce qu'elles en ont besoin. Ici, la plupart de mes patients me sont adressés par les autres professeurs où l'infirmière. Beaucoup estiment avoir mieux à faire qu'une thérapie et c'est donc un challenge de les faire parler. Je n'ai pas déployé mes techniques d'apprivoisement en psychologie autant depuis longtemps. »

Non, il ne s'agissait pas que d'utilité, en effet, mais c'était tout de même ce qui l'avait motivée en premier lieu. En tant qu'Auror, elle agissait déjà activement, mais en prenant conscience de combien la jeune génération devait être préparée à la menace extérieure, elle avait été d'autant plus décidée. Et cerise sur le gâteau, elle découvrait qu'elle savait et aimait enseigner. Si bien qu'elle regrettait que pèse sur elle la malédiction qui touchait tous les professeurs qui enseignaient sa matière et qui finissaient irrémédiablement par être remplacés.

"J'imagine que ce doit être plus compliqué quand tes patients ne sont pas dans les meilleures dispositions, en effet... J'imagine qu'à leur âge, j'aurais été de particulièrement mauvaise volonté, moi aussi. Mais je te connais, tu serais capable de faire parler un mur, tu sais mettre les gens en confiance. C'est une chance que tu sois là. Je le remarque dans mes classes, certains élèves sont... si jeunes et déjà si... brisés ?"

« C'est malheureusement la conjoncture qui le veut, et c'est vraiment très triste. »

Dorcas hocha la tête. Elle ne pouvait que confirmer les dires de son amie. Elle éprouvait une grande compassion pour cette génération qu'elle cherchait tant à forger et à aider. Beaucoup d'entre eux, si jeunes pourtant, étaient en souffrance, avaient déjà perdu de leurs proches, des amis, des membres de leur famille.. personne ne devrait avoir à vivre ça si tôt dans sa vie.

Dans une période qui devrait être dédiée à l'innocence, certains savaient vivre pleinement leur adolescence, mais beaucoup étaient blessés, brisés... au-delà de cette quête d'identité et de repères propre à leur âge... Et d'autres nourrissaient en un un feu sacré, un esprit de rébellion, un besoin de se battre, de se venger. Si on comparait ces adolescences à celle qu'avait connue Dorcas... non, en fait, il n'y avait rien à comparer, aucune comparaison n'était véritablement possible. Et vraiment, si toute cette situation était terriblement injuste et triste, au moins, tous autant qu'ils étaient, ils avaient la chance et l'opportunité de bénéficier d'une aide et d'un soutien qui n'avaient rien de négligeable.

« D’ailleurs à ce sujet, est-ce que le nom d’Alecto Carrow te dit quelque chose ? elle est à Serpentard. Que pourrais-tu me dire à son sujet ? »

Alecto Carrow ? Au fond, Dorcas n'était pas étonnée que son amie lui parle d'elle. Elle n'avait pas eu beaucoup d'interactions avec l'adolescente, qui faisait preuve d'une immense mauvaise volonté dans son cours et ne semblait pas l'apprécier beaucoup... mais elle avait clairement des problèmes à résoudre. On ne devenait pas si... délibérément désagréable sans de bons motifs.

"Je la connais assez peu. Les seuls fois où elle intervient dans mon cours, c'est pour démonter mes méthodes", dit-elle avec un léger sourire. Elle laissa passer un temps de silence, tentant de convoquer tout ce qu'elle pourrait communiquer à Margaret si cela pouvait l'aider. D'une façon ou d'une autre. "Elle est plutôt... agressive. De ce que je sais, elle en fait voir de toutes les couleurs à pas mal de ses camarades. Très fière, aussi. Une vraie petite sang pur. Elle est presque tout le temps collée à son frère jumeau." Elle marqua une pause. "Pourquoi ? Tu as remarqué quelque chose chez elle ?"

« Je ne suis pas sûre… je crains de la maltraitance. Mais cela va être très difficile à prouver. Elle me semble fuyante et silencieuse. Je vais avoir du mal à la faire parler. »

Ce que Margaret apprenait à Dorcas inquiète beaucoup cette dernière. Le professeur de défense contre les forces du mal a conscience du fait que, bien souvent, les comportements les plus déplorables se justifiaient par une raison profonde et sous-jacente, un mal-être véritable, mais jamais elle n'avait soupçonné qu'Alecto puisse être maltraitée. Elle ne s'était jamais posé la question, pour tout dire.

Elle tenta de réfléchir à leurs quelques interactions. Malheureusement, elle ne s'était pas montrée suffisamment attentive alors pour comprendre de quoi il retournait plus précisément. Elle ne pensait pas avoir un jour rencontré les parents des jumeaux. Maintenant qu'elle y réfléchissait, elle se souvenait que la mère de ces derniers était décédée. On pourrait peut-être mettre l'attitude d'Alecto sur le compte de l'absence de sa mère, mais de ce qu'elle se souvenait, Mrs Carrow était morte en couche, alors il ne pouvait pas vraiment s'agir de cela, en vérité. Dans tous les cas, que ces soupçons soient confirmés ou non, il était certain qu'il allait falloir y jeter un oeil très attentif.

"Je vois... je ne m'imaginais pas que ce puisse être si grave."

Mais peut-être que ça ne l'était pas tant, peut-être que les soupçons de Margaret ne se confirmeraient pas... le professeur de défense contre les forces du mal l'espérait de tout coeur, personne au monde ne méritait d'être maltraité. Et l'être par son propre père, par l'homme qui était supposé vous élever, vous protéger et vous aider à grandir, c'était insupportable.

"Tu aurais peut-être plus de chances en parlant à son frère ?" suggéra-t-elle ensuite.

S'il y avait de la violence au sein de ce foyer, Alecto tout comme Amycus étaient concernés. Ce qui ne voulait pas dire qu'Amycus serait plus bavard, mais même si les deux étaient constamment collés ensemble, ils restaient quand même très différents, tous les deux. Et si Margaret pouvait le convaincre que parler l'aiderait à protéger sa soeur, peut-être qu'il accepterait de passer aux aveux.

"En tout cas, je vais garder un oeil attentif sur elle, tu peux compter sur moi pour ça."

« Je ne sais pas si ce serait plus facile de faire parler le frère que la sœur. Mais je ferai de mon mieux pour trouver une solution afin de les faire parler. S’il y a réellement maltraitance, je refuse de rester sans rien faire. »

Malheureusement, Dorcas n'avait pas davantage de conseils à donner à son interlocutrice. Elle ne connaissait pas bien les jumeaux Carrow. Ces derniers se gardaient bien de se montrer loquaces durant son cours, ou bien ce n'était, dans le cas d'Alecto surtout, que par goût de la provocation pure et dure et rien d'autre, elle ne pouvait pas prétendre savoir quoi que ce soit d'eux ni savoir par quel bout les prendre. C'était déjà assez difficile de parvenir à les recadrer, elle ne pouvait pas beaucoup mieux.

Et par ailleurs, elle ne savait pas trop de quelle manière il convenait de gérer ce genre de cas. Elle se doutait que des cas de maltraitance, il y en avait plus souvent qu'on ne le soupçonnait. La jeune Carrow, si c'était bien ce qu'elle subissait, ne devait pas être la seule dans ce cas. D'autres devaient eux aussi subir les foudres parentales ou familiales dans un silence honteux, dans le silence le plus total. C'était à eux de garder l'oeil ouvert, de faire preuve de toute la vigilance possible.

Dorcas, maintenant qu'elle avait à sa disposition les informations que Margaret lui avait données, avait la ferme intention de faire preuve du plus de vigilance possible, mais en attendant, elle ne pouvait rien dire ou faire d'autre. Elle espérait, en son for intérieur, que son amie ait tort et qu'il ne se passe rien de grave au sein de la famille Carrow. Ce serait terrible... Mais elle n'y croyait pas, pas complètement, du moins. Margaret avait très souvent une bonne intuition, elle n'était pas une psychomage émérite pour rien, et ignorer ses suspicions serait faire preuve d'une négligence dont Dorcas n'avait pas la moindre envie de s'en rendre coupable.

« Et à part le travail ? Quelles autres nouvelles ? »

"Honnêtement ? Rien... Quand je ne prépare pas ou ne donne pas mon cours, je chapotte le club de duel... Je n'ai pas vraiment le temps de penser à autre chose." Elle marqua une pause, elle n'était pas entièrement honnête. Du temps, elle pourrait s'en ménager. Elle refusait de le faire, c'était une chose très différente. "Correction... je ne veux pas me laisser le temps de penser à autre chose."

« Je comprends que tu aies besoin de ne pas penser en ce moment, mais tout garder pour toi n'est peut-être pas la meilleure façon de parvenir à oublier, ou à guérir. Tu sais que je suis là si tu as besoin de parler. Et je ne te dis pas ça comme une thérapeute, mais comme une amie. »

Dorcas adressa son sourire le plus sincère à son amie. Cette dernière n'avait pas besoin de le lui dire pour qu'elle le sache, et d'ailleurs, si Dorcas devait décider de se confier à qui que ce soit, Margaret ferait partie de ses premiers choix. Elle savait qu'elle pouvait compter sur elle peu importe les circonstances, elle le lui avait déjà prouvé par le passé.

Cela dit, même si elle s'exprimait en tant qu'amie et non en tant que thérapeute, la confusion pouvait vite arriver tout de même, et de façon très logique, au fond. Il était normal que Margaret cherche à la psychanalyser si elle commençait à répandre ses états d'âme en sa présence comme on le ferait lors d'une thérapie. Dorcas savait qu'elle pourrait parler de tout avec Margaret, et qu'elle trouverait en elle une oreille attentive, une personne capable d'entendre ce qu'elle avait à dire et de l'écouter avec bienveillance et sagesse. Mais elle ne se voyait pas se répandre sur ce qui lui arrivait... dans tous les cas, elle ne pensait pas qu'il y ait grand chose à en dire.

"Je sais que tu es là et que je peux compter sur toi. Mais en fait, je n'ai pas vraiment besoin d'en parler, en tout cas je ne le ressens pas."

Ni le besoin, ni l'envie, elle voulait surtout réussir à aller de l'avant, à dépasser l'épreuve pour se sentir mieux dans sa vie. Elle ne voulait plus porter son traumatisme et son deuil comme un fardeau mais comme quelque chose qui la rendrait plus forte, pas forcément plus résiliente mais du moins plus déterminée à faire les meilleurs choix possibles.

"Il n'y a pas grand-chose à en dire, de toute manière. Ils me manquent et j'aurais aimé être capable de les sauver, ça se résume à ça."

Et elle savait qu'elle n'était pas responsable du décès de son époux et de sa fille, elle avait réussi à dépasser cette phase. Mais faire son deuil, c'était autre chose.

« Ce n'est pas quelque chose qu'il est facile d'évoquer, de toute manière »

Non, en effet, ce n'était pas quelque chose de simple à évoquer, en réalité c'était même quelque chose d'impossible à évoquer. C'était possible, en utilisant quelques artifices, l'une ou l'autre voie détournée, mais au bout du compte, mettre les mots les plus précis sur la situation et sur l'impact de cette dernière restait de l'ordre de l'épreuve, une épreuve à laquelle Dorcas avait bien du mal à se confronter.

Elle était capable d'en parler, mais c'était toujours... à mi-mots. Elle ne voulait pas refouler ses souvenirs, et même si elle le voulait, elle n'y parviendrait pas, en revanche, elle voudrait être capable d'être en paix avec les circonstances, et plus encore d'être en paix avec elle-même, mais ce n'était pas gagné, ce n'était pas acquis, et cela demandait un effort de tous les instants, qu'elle ne se sentait pas toujours en état de fournir.

"Non, ça je te le confirme", approuva Dorcas avec une fine esquisse de sourire, pas par défaitisme mais parce qu'elle estimait important de savoir regarder la vérité en face malgré tout.

Si, en temps voulu, elle parvenait à trouver la force de parler de tout ça, elle n'avait aucun doute quant à l'identité de celle vers qui elle se tournerait pour en discuter et vider son coeur de toutes ses pensées les plus sombres. Mais elle ne voulait pas non plus que sa meilleure amie devienne le déversoir de tous ses traumas. Pour elle, ce ne serait pas juste du tout.

« Tu serais peut-être morte toi aussi, on ne peut pas savoir. »

Margaret avait entièrement raison, bien sûr. Il y avait en effet de très bonnes chances pour que, en essayant de protéger sa famille, elle soit partie avec eux, mais au-delà de ça, elle était partagée. Elle savait que c'était son métier d'Auror qui avait attiré l'attention des mangemorts. Si elle avait eu un métier plus... banal, ils seraient restés à l'abri.

Mais en même temps, elle avait pris ses fonctions justement pour cette raison, pour éviter d'autres familles déchirées, d'autres destins brisés. Le sentiment d'échec qu'elle ressentait aurait peu de chances de se dissiper un jour.

« Elle me manque aussi »

Dorcas afficha un fin sourire triste et serra la main de Margaret en guise de soutien silencieux.

"Je sais..." Elle baissa les yeux. "Et même si je ne suis psychomage, toi aussi tu peux me parler si tu le souhaites."

« Je le sais, crois-moi. Mais tu sais comme je suis. Toute psychomage que je sois, et bien que je sache pertinemment que ce n'est pas ce qu'il faut faire, je ne peux m'empêcher de ne vouloir me reposer sur personne. »

Dorcas ne pouvait pas réellement reprocher cette manière de faire à son amie, ce serait singulièrement hypocrite de sa part compte tenu du fait qu'elles avaient l'une comme l'autre tendance à réagir de l'exacte même manière dans ce contexte, justement.

Elles avaient beaucoup trop tendance à vouloir assumer seules ce qu'elles auraient tous les bénéfices du monde à partager, et le fait de savoir que parler, se confier, pouvait être la clé, ne les empêchait pas d'avoir bien du mal à se plier aux recommandations qu'elles adressaient si légèrement à d'autres et sur le ton de la plus pure évidence.

C'était une chose que Dorcas n'avait aucune difficulté à comprendre pour sa part, et elle n'en prenait pas ombrage, car elle savait que ce n'était pas par manque de confiance en son amie que Margaret faisait le choix de se confier le moins possible, de ne pas trop s'épancher sur ce qu'elle vivait ou ressentait. C'était quelque chose de beaucoup plus complexe, de beaucoup plus personnel.

On disait bien souvent que les cordonniers étaient les plus mal chaussés, et c'était sans doute vrai, dans le fond, ou difficilement contestable en tout cas. Oui, ceux qui avaient pour mission de prendre soin des âmes tourmentées ne s'épargnaient pas d'en avoir une eux-mêmes, et quand bien même ils récoltaient les confidences des autres avec justesse, patience et expertise, ce n'est pas pour autant qu'ils étaient aptes à se confier, ou que ça rendait le fait de se confier plus simple ou plus évident.

Tout ce que Dorcas pouvait faire - et c'était forcément réciproque, c'était de rappeler à son ami qu'elle était là pour elle, et que le moment venu, si le besoin de parler devait se faire sentir, elle serait encore et toujours là, bien présente, fidèle au poste, sans jamais faiblir, c'était une certitude et une promesse tacite, qu'elle se faisait à elle-même et qu'elle faisait à son amie.

« Quelquefois, je me dis que c'est ce qui causera ma perte. »

"J'en doute", répondit Dorcas dans l'espoir de la rassurer. "Je suis certaine que tu sauras toujours prendre les bonnes décisions le moment venu. Si quelque chose doit causer ta perte un jour, je suis absolument certaine du fait que ce sera complètement indépendant de ta volonté."

« Je n'en suis pas certaine, mais quelque part, je ne suis pas sûr que je m'autoriserais à tomber, tant que quelqu'un aura besoin de moi. »

C'était une mentalité que Dorcas comprenait très bien, une mentalité dans laquelle le professeur de défense contre les forces du mal était totalement capable de se reconnaître, car elle-même avait tendance à avoir la même. Elle voulait jouer un rôle actif, contribuer concrètement à aider les autres autour d'elle, et c'était pour cette raison qu'elle voulait être professeur.

Mais le fait est que, peu importe qu'on se l'autorise ou non, on ne décide pas réellement de tomber ou pas, c'est une chose que l'on nous impose et avec laquelle on est obligé, contraint de conjuguer, quand bien même cela ne doit pas forcément nous faire le plus grand plaisir. Elles pouvaient néanmoins avoir prise sur certaines choses, et elles devaient s'accrocher à cela.

Tenir bon parce que les autres avaient besoin d'elle, c'était le genre de choses qui leur permettait de tenir bon, même si ce genre de situations étaient vraiment compliquées et douloureuses. Dans ces circonstances, il fallait être un pilier pour tous ceux qui n'étaient pas capables de l'être de leur côté. C'était important. C'était ce qu'il y avait de plus important, même, rien ne rivalisait avec cela.

« Il n'est pas encore arrivé le jour où je ne serai plus utile à personne en ce monde. »

"Cela, je peux te le confirmer sans la moindre hésitation", confirma Dorcas avec un sourire des plus sincères. "Déjà, tu ne cesseras jamais de m'être importante et utile, alors à partir de là, tu as de quoi tenir bon pour encore des années et des années."

On pourrait avoir le sentiment qu'elle en rajoutait, c'était la situation qui faisait ça, mais le fait est qu'elle était sincère, en réalité, et qu'elle pensait véritablement tout ce qu'elle disait. Margaret, de par sa présence, son écoute, son expérience et ses conseils, ne cesserait jamais d'être utile aux gens qui l'entouraient, et puisqu'elle était définitivement l'amie la plus précieuse que Dorcas possédait, elle ne serait jamais inutile à Dorcas, quoi qu'il advienne.

"Mais ne t'épuise pas trop à la tâche non plus, par contre, d'accord ?"

« Merci pour ce vote de confiance, Dorcas. Mais ça ne m’étonne pas de toi. »

Dorcas accueillit cette remarque avec un sourire. Elle voulait bien croire que cela ne l'étonnait pas d'elle. Elles se connaissaient bien assez toutes les deux, alors elles savaient très bien, toutes les deux, combien elles pouvaient se faire mutuellement confiance, raison pour laquelle elles s'autorisaient ces conversations à coeur ouvert, même si certaines choses demeuraient malgré tout dans le registre du non-dit et le resteraient peut-être pour un bon moment encore.

Malgré tout, il restait des zones d'ombre, des choses véritablement difficiles, des situations presque impossibles à démêler, parce qu'elles touchaient à quelque chose de beaucoup plus douloureux.

« Alors ça, c’est difficile à promettre »

Preuve en était de cette réponse, donc. En effet, c'était difficile à promettre, et elle pouvait comprendre cela. Elle préférait, d'ailleurs, que Margaret ne lui promette rien plutôt que de lui mentir, mais elle espérait tout de même qu'elle tenterait au moins de respecter cet engagement, car Dorcas s'en voudrait terriblement si elle devait découvrir que Margaret était allée au bout de ses moyens et de ses possibilités.

Leur amitié leur servait aussi à cela : à savoir tirer la sonnette d'alarme quand cela devenait nécessaire, à comprendre à quel moment être présente pour l'autre, pour l'empêcher de faire quoi que ce soit de regrettable. Malheureusement (et en même temps tant mieux), elles ne pouvaient pas être constamment sur le dos l'une de l'autre non plus, mais c'était un effort qu'elles se devaient de faire néanmoins.

« Je ne sais pas comment on fait pour penser à soi. Tu as une idée toi ? »

"J'aimerais dire que je sais comment faire, mais vu le peu de temps que je m'accorde, je ne serais pas vraiment de bon conseil. J'imagine que ce qui peut être un bon début, c'est de réfléchir à ce qui peut vraiment nous faire du bien, et nous autoriser à accéder à cette possibilité."

Théoriquement, ça avait l'air plutôt simple, mais bien sûr, dans les faits, rien n'était jamais aussi évident. Il fallait parvenir à des concessions, accepter de mettre sa culpabilité sous clé... Bref, ce n'était jamais simple, et prendre soin de soi sans se sentir égoïste était évidemment une épreuve. C'était bien sûr un vrai souci. Et un souci logique, compréhensible. Difficule de ne pas avoir le sentiment de céder à l'égocentrisme.

Ce qui faisait le sel et la force de leur amitié pouvait être aussi une faiblesse. Si elles étaient si capables de comprendre la souffrance de l'autre, c'est qu'elles en avaient éprouvé des équivalentes, si elles comprenaient si bien le tempérament de l'autre ou sa réaction dans tel ou tel contexte, c'est parce qu'elles avaient des personnalités très similaires.

Ce qui signifiait par conséquent que dans certaines circonstances, cela pouvait leur porter préjudices, car à trop penser de la même manière, elles évitaient de se faire sortir mutuellement de leur zone de confort, parfois, ce qui pourtant, à l'évidence, ne pourrait leur faire que le plus grand bien. C'était une chose à laquelle elles devaient absolument travailler l'une comme l'autre. Mais c'était déjà un premier pas, et non négligeable, que d'en prendre conscience, pas vrai ?

Quoi qu'il en soit, cela ne les empêchait certainement pas de faire preuve d'initiative, comme c'était le cas à présent, alors que Margaret reprenait la parole avec une idée bien précise derrière la tête. Et une excellente idée, qui plus est.

« Tu sais quoi ? Je viens d’avoir une idée pour les prochaines vacances. Toi, moi. Une randonnée dans les landes avec pour but final le château des Janeway. On campe dans la lande, on achète nos repas dans les fermes de la lande, et on déconnecte pendant toute une semaine. Tu en dis quoi ? »

Cette proposition décocha immédiatement un sourire à Margaret. Au bout du compte, la solution était très simple. Elles, leurs conversation, la nature, une déconnexion totale avec ce qui était leurs habitudes, avec ce qu'elles redoutaient généralement. Oui, l'idée était vraiment bonne. L'idée était excellente, même.

Dorcas n'était pas une citadine, elle avait toujours eu un penchant naturel pour la nature et les grands espaces. Bien sûr qu'elle ne pouvait accueillir la suggestion de son ami qu'à bras ouverts, et avec un certain ravissement. Elle aurait bien besoin de cela, oui, de s'éloigner de tout et de prendre des vacances.

"Mais quelle excellente idée !" s'enthousiasme-t-elle avec un large sourire. "Même si je nous connais, on va avoir du mal à véritablement déconnecter, mais ça ne pourra que nous faire que du bien... Du moment que tu ne t'inquiètes pas trop de mon rythme, ça fait longtemps que je n'ai plus fait d'expéditions de randonnée comme ça."