Un deuil n'est jamais que le cheminement d'une âme vers l'acceptation [PV Mary McDonald]

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ary traînait clairement les pieds à la perspective de ce rendez-vous. En dehors de Poudlard, déjà, sa mère avait suggéré qu'elle aille voir un psychomage, mais Mary persistait et signait : elle n'avait pas besoin de s'allonger sur un divan et de raconter sa vie à un inconnu : elle allait bien, tout allait bien, elle pouvait très bien faire son deuil toute seule comme une grande. Bien évidemment, rien n'était plus faux que cette affirmation en laquelle elle essayait de se persuader pourtant.

Elle avait essayé, par tous les moyens, de se dérober à ce moment qu'il allait lui falloir passer avec la psychomage de Poudlard. En soi, Mary n'avait rien contre elle - comment le pourrait-elle ? Elle ne la connaissait pas, après tout -, mais elle ne se sentait tout simplement pas prête à faire l'étalage de ses émotions avec la première personne venue, dut-elle être compétente et bardée de diplôme. Elle avait besoin de se convaincre qu'elle était capable de remonter la pente toute seule, comme une grande, sans personne pour lui tenir la main. Evidemment, il y avait une grande part de fierté dans cette vision des choses, elle ne pouvait le nier, mais elle préférait se dire que d'autres avaient bien plus besoin qu'elle d'un psychomage. Elle allait bien.

Ou pas. Oui, assez souvent, elle fondait en larmes sans raison apparente. Oui, elle pouvait parfois se mettre en colère et se montrer insolente sous des prétexte à peine recevables. Sans oublier le fait que les verts et argent qui lui menaient la vie impossible ajoutaient à la fragilité de ses nerfs... mais en quoi parler, déballer tout ça, pourrait l'aider ? Elle savait que c'était ce qu'on attendait d'elle, qu'il s'agisse de sa mère ou encore de Lily, sa meilleure amie, qui se désolait de ne jamais pouvoir recueillir aucune de ses confidences. A force de vouloir se montrer forte, elle se fragilisait. Mais elle n'était pas encore prête à l'admettre, vraiment pas.

Réticente, avec l'envie d'être partout ailleurs sauf ici, Mary prit une grande inspiration et daigna frapper à la porte de Margaret Janeway. Elle avait bien envie de sécher ce rendez-vous, mais ses professeurs la rappelleraient à l'ordre d'une manière ou d'une autre... alors autant passer à la casserole tout de suite, sûrement.

-Bonjour... C'est McGonagall qui m'envoie, fit Mary en enfonçant les mains dans sa poche, d'avance fermée.

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oujour ô combien réticente, Mary consentit malgré tout à s'installer sur le tapis que lui désigna son interlocutrice. Elle ne pouvait pas se dérober à cette conversation quand bien même sa seule perspective avait le don de la rendre terriblement anxieuse. Elle était là, maintenant, alors que ça lui plaise ou pas, elle allait passer à la casserole. Elle s'estimait malgré juge de ce qu'elle s'autoriserait à dire ou non, mais elle n'avait pas l'intention de se laisser cuisiner trop longuement ni dans le détail. Elle avait son jardin secret, elle n'en laissait l'accès à personne ou presque, et elle ne tenait surtout pas à ce que ça change.

-C'est pas trop mon truc, le thé, répondit Mary en s'autorisant quand même à attraper un petit gâteau sur la table pour le fourrer dans sa bouche.

Elle avait toujours eu un rapport très émotionnel à la nourriture. Elle avait largement tendance à manger ses émotions. Heureusement, sportive comme elle l'était, ses crises de fringale n'avaient pas d'influence particulière sur sa silhouette. En attendant, ceci dit, elle essayait surtout de s'occuper les mains, ce qui serait susceptible de lui donner une contenance. Elle était en présence d'une femme qui allait chercher à mettre ses émotions et son histoire à nu, et c'était une perspective qui l'angoissait singulièrement.

Et d'ailleurs, Mrs Janeway ne tarda pas à rentrer dans le vif du sujet, et lui demanda de parler d'elle-même. Mary baissa les yeux sur le gâteau qu'elle tenait entre ses doigts, et dévora ce qu'il en restait en une bouchée, réfléchissant à que répondre. Quelque part, elle appréciait que son interlocutrice lui pose une question aussi vaste, qui lui permettait de sélectionner les informations qu'elle acceptait de lui donner et celles qu'elle refusait de lui adresser. Mais le fait est qu'elle craignait ce que la psychomage pourrait faire de l'information même la plus innocente, de celles qui donneraient le sentiment de ne pas signifier grand-chose.

-On a déjà dû vous faire le topo, non ? dit-elle, toujours braquée. Elle se doutait que son interlocutrice était informée un minimum au préalable concernant les élèves qui passaient la porte de son bureau. J'ai seize ans, je suis à Gryffondor, je m'en sors pas trop mal en cours, je suis dans l'équipe de Quidditch... mon père est mort y a deux ans. Et tout va bien pour moi, je sais vraiment pas pourquoi on a voulu que je vous voie.

Si ce n'est qu'elle était encore profondément affectée par le décès de son père et harcelée physiquement et moralement par deux brutes de Serpentard, peut-être ?

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air de rien, Mary appréciait que la psychomage ne parte pas directement du principe qu'elle avait forcément besoin d'aide sous le prétexte qu'elle avait une histoire tragique (comme beaucoup d'autres, en réalité - dans les circonstances actuelles, elle était tout sauf unique... être orphelin de père ou de mère, ou des deux, devenait presque une constante, à ce stade). Elle n'aimait pas qu'on la regarde avec pitié sous le prétexte qu'elle avait perdu son père, et elle avait envie de prétendre qu'elle était tout à fait capable de faire son deuil par ses propres moyens, sans l'aide de personne...

Elle aimait ça, oui, même si elle avait en réalité complètement besoin d'aide. Elle pouvait prétendre autant qu'elle le voulait qu'elle était entièrement capable de faire son deuil toute seule, d'un côté il y avait les affirmations, et de l'autre il y avait les faits : toutes les fois où elle s'isolait quelque part pour fondre en larmes, ses crises de nerfs inexplicables... son incapacité à accepter entièrement la réalité... Elle était loin, très loin du compte. Elle était tout sauf capable d'affronter cette véritable montagne seule... Mais elle réussissait encore, en revanche, à s'illusionner sur la question.

Mary se disait qu'elle avait l'opportunité, peut-être, de s'épargner ces séances qu'elle était convaincue de devoir être un plaie pour elle. Alors oui, cette Margaret Janeway n'avait pas l'air désagréable, mais ce n'est pas pour autant que l'adolescente avait envie de passer son temps dans ce fichu bureau à parler de ses problèmes. Ses problèmes, elle préférait les enfouir profondément, les enterrer. Alors qu'elle apprenne à la connaître, si Mary mentait suffisamment effrontément, peut-être que la psychomage abandonnerait ? Mary l'espérait vraiment. Elle se sentait un peu moins piégée, au moins, et en ce sens, Mrs Janeway avait clairement et concrètement gagné du terrain sur elle. Il fallait donc qu'elle parle d'elle, eh bien soit.

-Je suis batteuse chez les Gryffondors. J'adore le quidditch. Je suis pas comme d'autres de l'équipe qui s'imaginent en faire un métier, mais j'adore être sur un balai... je me sens... libre, quand je suis dans les airs, vous voyez ? Sinon, je crois que j'ai une vie assez banale, je dirais que ma grande passion, c'est mes amis. Je les ai bien choisis. Ou bien ils m'ont bien choisie, je sais pas. J'aime juste... passer du temps avec eux. Même si on fait rien, c'est pas important.

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on, si leurs conversations devaient finalement se résumer à des discussions sur le quidditch et leurs expériences respectives dans ce domaine, il serait même possible pour elle de prendre goût à ses conversations avec la psychomage. Bon, elle ne pensait pas que ça aiderait tant que ça son état mental, mais d'un autre côté, si ça pouvait lui faire passer le temps en parlant, au passage, le moins possible de son père, ça lui convenait parfaitement, plus que parfaitement, même.

Ainsi, elle apprenait que son interlocutrice avait été joueuse de Quidditch chez les Gryffondors. Dans sa perspective d'adolescente, il était assez difficile pour Mary d'accepter que les adultes de Poudlard pouvaient y avoir fait leurs études ou encore avoir eu son âge, elle n'imaginait pas Margaret Janeway sur un balai, portant les couleurs de rouge et or, mais soit, ça leur faisait un point commun, et qui n'était pas négligeable du tout.

-On est la meilleure équipe de l'école. C'est pas pour me vanter, hein, c'est juste que c'est vrai. On va gagner la coupe cette année, j'en suis sûre et certaine, décréta Mary avec assurance.

En fait, elle n'en savait rien, il y avait de très bons joueurs dans les autres équipes, et elle redoutait notamment les Poufsouffle. Entre Tilden et Gwenog, la concurrence était sévère, mais elle avait tout de même entièrement foi dans les rouge et or, et elle croyait réellement dans leurs chances de victoire. De toute manière, ce n'était pas en admettant un possible échec qu'ils allaient réussir en quoi que ce soit, ça ne marchait pas comme ça.

Elle se crispa davantage quand la psychomage lui demanda si elle avait des amis à qui parler, à qui parler vraiment. Là, l'affaire se corsait, évidemment... Elle parlait des fois à Marlene, qui avait vécu la même chose qu'elle, mais il y avait toujours une légère barrière, une certaine distance. Elle bloquait ses émotions, elle n'aimait pas y donner accès à qui que ce soit. Pas à ceux qui étaient les personnes qu'elle aimait le plus, pourtant. Tilden, Lily, Sirius... elle devrait être capable d'en parler librement. Elle n'y arrivait pas.

-Je peux leur parler. Lily - ma meilleure amie - n'attend que ça, d'ailleurs, que je lui parle, que je me confie, mais moi... j'en ai juste pas envie.

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ary afficha un sourire empreint de fierté quand son interlocutrice assura qu'en tant qu'ancienne Gryffondor, elle soutenait évidemment l'équipe des rouge et or, c'était tout bête, mais cette simple connivence lui plaisait beaucoup et la mettait en confiance. La coupe des quatre maisons, quand on y réfléchissait, ce n'était vraiment pas grand-chose, une compétition sportive entre collégiens, un événement anodin, mais ça n'empêchait définitivement pas Mary de faire partie des élèves qui prenaient la chose vraiment très à coeur.

Et d'ailleurs, parmi ses nombreux défauts, il fallait compter après le fait qu'elle était particulièrement mauvaise joueuse, elle avait beaucoup de mal à accepter la défaite : elle était compétitive jusqu'au bout des ongles, et pour elle, il n'était par conséquent pas hors sujet de parler de sa passion pour le Quidditch avec la psychomage de l'école. A l'heure où elle se cherchait et se construisait encore, le statut de batteuse pour l'équipe des rouge et or faisait partie intégrante de son identité et de sa personnalité, et personne ne le lui ôterait.

Mais évidemment, elles n'étaient pas là pour parler uniquement de Quidditch, ce serait trop beau. Non, elles étaient également là - et surtout là d'ailleurs - pour parler de la manière dont Mary gérait son deuil de manière absolument catastrophique, si bien que cette très mauvaise gestion finissait par avoir des répercussions sur tout son entourage, y compris ses amis les plus proches, ceux qui, à l'instar de Lily, cherchaient à l'aider, la soutenir et la comprendre, sans forcément de succès... pas parce qu'il n'y étaient pas aptes ou quoi que ce soit du genre, mais parce que Mary refusait obstinément d'en parler de la bonne manière, s'il y avait une bonne manière, d'en parler tout court, en fait. Pourquoi ça ? Bonne question.

-Je sais pas, commença Mary dans un haussement d'épaules désintéressé en réponse à la question de la psychomage. Mais en fait, ce n'était pas tout à fait vrai. Si, elle savait. Elle savait, ou du moins, elle savait en partie. C'est juste que si j'en parle ben... ça devient réel, vous voyez ? C'était réel, bien sûr, mais étouffer la douleur lui donnait l'impression de moins la ressentir. Et puis, je veux pas qu'on ait pitié de moi, surtout que c'est pas comme si j'étais la seule à qui ce genre de choses était arrivé.

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La métaphore de la plaie qui n’a pas été désinfectée eut le don de faire grimacer Mary, l’image n’était pas très seyante, en revanche, elle était effectivement plus que parlante, et la rouge et or pouvait difficilement donner tort à la psychomage à ce sujet. En dissimulant sa douleur, en s’épargnant de confier sa souffrance, elle ne soignait pas ces plaies encore trop vives, et qui avaient besoin de cicatriser. Pour filer la métaphore, elle aurait, bien au contraire, tendance à les infecter davantage, ce qui ne pouvait bien sûr pas être une bonne chose. Elle n’en avait peut-être pas complètement conscience, mais quand elle s’épanchait davantage sur la situation, elle était bien obligée de le réaliser.

-Vous pensez que je le fais exprès ? demanda Mary après un instant.

Ce n’était pas un accusation, elle ne la pointait pas du doigt, mais posait la question avec toute la sincérité du monde, réalisant qu’elle-même n’était pas sûre d’en avoir la réponse, même si cette dernière semblait relativement évidente au regard de ses actes et de la manière dont elle se comportait de manière générale. Encore faudrait-il qu’elle se montre spécifique , car pour le moment le discours qu’elle tenait devait certainement ressembler au plus incompréhensible des charabias, et elle en avait bien conscience. Ce n’était pas son genre de parler par énigmes, pourtant. Elle aimait, quand les choses étaient claires, nettes et précises, c’était normalement son truc. Normalement.

-Je veux dire, peut-être pas consciemment. Mais est-ce que ce serait possible que j’arrive pas à en parler parce que, justement, j’ai pas envie que la plaie se referme, que j’ai pas envie que ça cicatrise ?

Elle n’avait pas envie d’arrêter d’avoir mal. Ce n’était pas du tout du masochisme, ou en tout cas, elle ne le voyait pas du tout de la sorte, cela revenait plutôt à… faire durer un souvenir. Elle avait l’impression que cette douleur contre laquelle elle ne faisait rien, qu’elle portait derrière un masque aimable, était le lien le plus tangible qui la liait encore à son père. C’était quelque chose de fort, de réel. Et accepter de se sentir mieux, de mettre de côté cette douleur, ce serait quelque part le trahir. Elle cherchait peut-être un peu trop loin, elle n’en savait trop rien.

Elle allait peut-être chercher trop loin, et elle devrait peut-être s’épargner d’en parler, mais c’était trop tard. Cette psychomage avait vraiment un don. Mary s’était jurée de ne surtout pas lâcher un seul mot à son adresse au cours de cet entretien, et voilà maintenant qu’elle lui adressait de ces pensées profondes qu’elle n’avait jamais accordé à qui que ce soit.

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a psychomage faisait effectivement un excellent résumé de ce que ressentait bel et bien la jeune rouge et or. C'était très précisément de cela qu'il retournait, en effet. Elle appréhendait bel et bien de perdre un peu de l'amour inconditionnel qu'elle avait pour son père, de le trahir en quelque sorte, en agissant de la mauvaise manière, en s'autorisant à être heureuse, à... tourner la page ? Rien que cette expression "tourner la page" l'angoisse beaucoup, c'était pour elle suggérer de ne jamais revenir sur ces pages en question, c'était comme enterrer son père une deuxième fois, comme si la première n'avait pas suffi déjà. Oui, vraiment, cette pensée lui était absolument insupportable, intolérable. Malheureusement, la jeune femme savait bien que plus elle lutterait contre le deuil qu'il était nécessaire qu'elle fasse, plus celui-ci serait difficile, et plus elle souffrirait en faisant, au passage, souffrir aussi les personnes autour d'elle.

-Je ne sais pas comment faire pour admettre ça, répondit Mary d'une voix blanche.

Elle s'étonnait d'aborder le sujet à ce point en profondeur avec son interlocutrice. Elle s'était attendue à rester en surface des choses, elle s'était promis d'en dire et d'en faire le moins possible, elle avait été décidée à laisser un moindre accès à ses pensées et à ses émotions à Mrs Janeway... Mais elle en était là, maintenant, et elle avait le sentiment de mettre son âme à nu. Quelque part, cela lui faisait du bien : ça faisait trop longtemps qu'il fallait qu'elle parle, qu'elle se confie, qu'elle crache enfin ce qu'elle avait sur le coeur depuis trop, beaucoup trop longtemps... Oui, mais en même temps, elle était déstabilisée par son propre comportement. Elle avait retiré sa carapace, et elle se sentait sacrément vulnérable sans elle. Une part d'elle, elle pouvait difficilement le cacher, avait très envie de remettre cette carapace vite fait bien fait, pour ne plus jamais, ô grand jamais, la retirer devant qui que ce soit.

-Je veux dire, je sais que c'est vrai, concrètement, ce que vous dites. Mais quand j'essaie de l'appliquer dans ma vie... ben ça veut pas, je bloque. Comment on fait pour... dépasser ce genre de blocage ?

Et voilà à présent qu'elle demandait des conseils, et elle attendait même avidement de les recevoir, comme s'il devait s'agir du bien le plus précieux qu'on pourrait être à même de lui offrir. Elle avait certainement plus besoin de cette thérapie qu'elle n'aurait été capable de le présumer.

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e la patience et du courage... Du courage, Mary avait envie de croire qu'elle en avait à revendre. Après tout, elle ne s'était pas retrouvée à Gryffondor pour rien, pas vrai ? (Même si elle avait clairement tendance à en manquer quand elle se retrouvait en présence des crétins de serpentard qui prenaient un malin plaisir à la tourmenter et en présence de qui elle avait le sentiment de ne plus rien valoir du tout.) Mais de la patience ? Ah ça, la patience, c'était une autre affaire. C'était une chose dont elle avait toujours manqué, et on avait beau lui dire delaisser le temps au temps, c'était un adage qu'elle avait toutes les peines du monde à appliquer à la vie réelle.

Elle afficha un sourire en coin quand la psychomage ajouta qu'elle était trop exigeante avec elle-même. C'était une chose qu'elle n'aimait pas forcément admettre, mais en revanche, il lui était relativement impossible de le nier. Oui, en effet, elle était définitivement trop exigeante envers elle-même. Elle n'irait pas dire qu'elle était perfectionniste, mais elle en attendait bien souvent trop d'elle-même. Raison pour laquelle elle refusait toujours de craquer en public, raison pour laquelle elle s'isolait de ses amis quand elle se sentait en proie à la panique et à la tristesse. Raison pour laquelle elle avait même fini par tenir sa meilleure amie à l'écart de ses problèmes alors que cette dernière cherchait désespérément à lui apporter son soutien et supportait de moins en moins - Lily en avait bien conscience - d'être constamment mise de côté quand il était question de cette part d'elle plus intime et douloureuse.

-Du genre... une anecdote agréable au sujet de mon père ? suggéra Mary quand son interlocutrice lui proposa de juste... procéder par étape, inclure progressivement ses amis les plus proches dans le champ de ses émotions, mais sans rien forcer pour autant.

C'est sûr, ce serait plus simple pour elle de discuter de choses banales et quotidiennes, de moments heureux qu'elle avait passés avec son père plutôt que d'évoquer en détail la douleur qui la tenaillait à chaque fois qu'elle songeait à son absence, au fait qu'elle ne le reverrait jamais, qu'il ne la prendrait plus jamais dans ses bras. Sans oublier l'inquiétude qu'elle avait aussi concernant sa mère, qu'elle voyait de plus en plus mal à mesure que le temps passait.

-Je sais pas si je suis capable d'évoquer quoi que ce soit qui le concerne, même un souvenir agréable. Dès que j'y pense, je fonds en larmes, avoua-t-elle, dépitée.

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endant un temps, Mary ne dit tout simplement rien, elle se contentait de regarder les manches de son haut, qu'elle triturait comme pour se donner une contenance, un réflexe qu'elle avait depuis presque toujours, et qui la prenait quand elle se sentait déstabilisée ou nerveuse, comme le fait de se ronger les ongles, même si c'était une chose qu'elle évitait soigneusement de faire quand elle avait quelqu'un en face d'elle. L'adolescente savait que tout ce que disait la psychomage témoignait d'une réelle forme de bon sens, et elle aurait tout intérêt à l'écouter, à essayer, du moins. Mais rien que ça, c'était dur, essayer...

Preuve que Margaret Janeway était tout de même déjà parvenue à quelque chose avec Mary : cette dernière ne se fermait pas à l'idée de parler, chose qu'elle s'était pourtant promise à elle-même de ne surtout pas faire quand elle avait mis un premier pas dans ce bureau. Elle avait été très réfractaire, et elle pensait être muette volontairement, là, elle l'était surtout parce qu'elle cherchait les meilleurs mots possibles pour s'exprimer, et elle réalisait que c'était loin d'être si évident. Elle avait bien du mal à savoir quoi dire ni comment parler, elle avait surtout le sentiment qu'elle allait fondre en larmes avant d'avoir eu ne serait-ce que le temps de formuler quoi que ce soit... Mais en même temps... il fallait qu'elle s'exprime, il fallait que ça sorte... C'était sans doute nécessaire. Et si elle ne le faisait pas maintenant, eh bien ça allait durer... encore et encore. Alors, après un moment, d'une voix si basse et si rauque que la jeune femme se reconnaissait à peine, elle prit la peine de prononcer quelques mots :

-Quand j'étais petite, quand ma grand-mère était encore là, on passait tous nos étés chez elle. Elle habitait sur une toute petite île en Ecosse. C'était même pas un village, il y avait quoi... dix maisons à tout casser, et on pouvait faire le tour de l'île en une heure à vélo, mais j'adorais cet endroit, j'avais l'impression d'être la reine du monde... Elle afficha un fin sourire. Mon père... Il m'a appris à pêcher... On montait sur un tout petit bateau de pêche avec notre vieux matériel et il me disait à chaque fois, il me disait...

Et ça y est, voilà qu'elle fondait en larmes. A chaudes larmes, même. Elle se sentait vraiment ridicule.

-Désolée...

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une main tremblante, la rouge et or se saisit du paquet de mouchoirs que lui tendit son interlocutrice avec un fin sourire de remerciement qui n'était sans doute pas vraiment très convaincant. Elle se moucha et essuya ses larmes du mieux qu'elle put. Elle qui se targuait d'avoir un excellent contrôle d'elle-même et de ses émotions prouvait tout le contraire à l'heure actuelle, mais dans le fond, c'était couru d'avance. Forcément, à force de contenir ses émotions, elles s'accumulaient, elles s'accumulaient... A un moment ou à un autre, il fallait bien que ça déborde, qu'elle ne soit tout simplement plus capable de contenir tout ce qu'elle avait sur le coeur...

Elle pouvait admettre que si elle prenait la peine de parler plus souvent de son père, les grandes eaux adviendraient moins souvent, parce qu'elle aurait un rapport plus sain à la situation, ce qui n'était clairement pas le cas à ce jour. Pas le cas du tout, même. Elle devait accepter de pleurer, de lâcher les vannes, le truc, c'est qu'elle se trouvait toujours une excuse pour que le contexte ne soit pas approprié. En famille, c'était impossible, elle devait soutenir sa mère, pas la mettre encore plus bas que terre. Avec ses amis, elle ne le voulait pas, elle voulait qu'ils l'aident, au contraire, à se sentir mieux... Et quand elle était seule avec elle-même... ça pouvait lui arriver, évidemment. Mais dans ces moments-là, elle se trouvait toujours de bonnes excuses.. elle évitait d'être seule, en fait. C'était un cercle vicieux.

Mais ici, dans ce bureau, en présence de la psychomage, elle s'était senti suffisamment en sécurité pour mettre de côté ses craintes et ses a priori et prendre le risque d'avoir mal... et au final, même si c'était douloureux, même si elle avait l'impression qu'on lui fendait le coeur en deux, elle avait quand même l'impression... d'aller un peu mieux ? C'était léger, c'était diffus, mais c'était là. Elle sentait que malgré tout, ça lui faisait du bien, et même si elle détestait avoir tort peu importe les circonstances, il fallait bien qu'elle donne raison à son interlocutrice... Elle était vraiment douée, Merlin. Elle avait su abattre ses barrières en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire quand d'autres désespéraient encore de la percer à jour.

-Je dois reconnaître..., admit-elle entre deux sanglots, ayant du mal à reprendre sa respiration ou même à simplement ne pas sombrer dans une autre crise de larmes... J'en avais sûrement besoin.

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ui, craquer, lâcher prise, ça faisait vraiment beaucoup de bien. Rien que le fait de l'admettre exigeait de Mary qu'elle mette beaucoup de sa fierté de côté, mais il fallait bien qu'elle reconnaisse les choses comme elles étaient, et oui, dans les faits, c'était si bon de juste... se laisser aller. Elle se sentait... pas mieux, ce serait à l'évidence une exagération, mais elle se sentait tout de même libérée d'un poids.

L'admettre l'obligeait à ne pas écouter son orgueil, et iune part d'elle, trop fière, aurait presque envie de contrarier son interlocutrice et de prétendre que tout ceci n'avait fait aucune différence pour elle, mais ce serait mentir... et ce ne serait définitivement pas un mensonge dont elle pourrait se montrer fière en quoi que ce soit, à l'heure où son interlocutrice se montrait si sympathique et si compréhensive à son égard. Elle méritait et valait mieux que ça, c'était certaine.

-D'accord, dit-elle dans un hochement de tête, encore légèrement tremblante. Je tâcherai de m'en souvenir.

Après, vous savez ce qu'on dit : les adolescents ont tendance à avoir la mémoire courte. Cela dit, elle n'oubliait clairement pas à quel point la psychomage avait su se montrer patiente et d'une oreille attentive. Ce genre de qualités étaient au fond plutôt rares, même de la part des adultes, qui avaient bien souvent tendance à n'entendre que ce qu'ils avaient envie d'entendre sans jamais se soucier de quoi que ce soit d'autre sinon de leur sacrosainte opinion. Certes, la psychomage ne faisait qu'exercer son métier, ce qui prouvait donc, au demeurant, qu'elle le faisait bien, mais tout de même...

-Est-ce que... c'est tout pour aujourd'hui ? Je vous avoue que je me sens... vidée.

Elle n'était pas sûre de tolérer que leur entretien dure beaucoup plus longtemps. Elle avait envie de se retrouver seule avec elle-même, elle avait besoin, même, de se retrouver seule avec elle-même. Elle avait mis ses émotions à nu, sans tricher, et ça lui avait fait un bien fou, mais à présent, elle ne demandait qu'à se terrer dans son coin, ou à faire n'importe quoi d'autre, quelque chose qui lui permettrait d'occulter ses pensées les plus sombres un petit temps.

-Mais je reviendrai vous voir. C'est promis.

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