Une pause ne fait jamais de mal (Hazel)

Le rythme que l'on vous imposait, en tant que professeur de Poudlard, pouvait apparaître par de nombreux aspects assez contraignant. Difficile d'avoir une vie intime et familiale quand on passait le plus clair de son temps entre les murs de pierre de l'école de magie... mais pour Dorcas, ce n'était pas vraiment un soucis.

Une vie intime et familiale ? Elle n'en avait plus. Elle avait tout perdu quand les mangemorts l'avaient privé de son mari et de sa fille. Depuis, eh bien... elle avait renoncé à tout cela. Certains, dans son entourage, lui parlaient de refaire sa vie, elle n'envisageait pas cette possibilité ne serait-ce qu'une seule seconde. A ses yeux, c'était impossible, inenvisageable... Elle ne voulait pas prendre le risque de tout reconstruire et de tout perdre ensuite. Sa vie, elle la consacrerait à communiquer aux plus jeunes ce qu'on lui avait à elle-même inculquer. Elle espérait être capable d'inspirer la nouvelle génération, de l'aider à se défendre et à se battre, même si elle avait conscience qu'au poste qu'elle occupait, elle se trouvait sur un siège éjectable, duquel elle pourrait basculer à tout instant sans que rien ne l'y prépare sinon le sinistre (mais différent toujours) destin de ses prédecesseurs.

Alors oui, la presque intégralité de sa vie était à présent dévolue à l'enseignement, à Poudlard et à ses élèves, mais à vrai dire, ça ne la dérangeait pas tant que ça... Au moins, cela donnait un semblant de sens à une existence qui avait perdu une grande partie de sa saveur, et d'une façon directe et bien trop brutale, en fin de compte.

Elle s'accordait rarement la moindre pause, mais pour cette fois, elle avait décidé de faire abstraction. C'était le week-end, ses cours étaient préparés, elle avait pris de l'avance sur la correction de ses copies, elle pouvait s'accorder un peu de bon temps.

Elle avait proposé à Hazel, qui n'était pas seulement une collègue mais une amie de longue date, de la rejoindre aux Trois-Balais afin qu'elles prennent un verre ensemble. C'était hors période de sortie scolaire, elles ne seraient donc pas dérangées par une masse grouillante d'adolescents en tout genre.

Elle attendait patiemment l'arrivée de son amie. Elle était arrivée en avance, elle en avait profité pour faire quelques courses, et maintenant, elle patientait, un livre à la main, en sirotant son jus d'oeillet.

Dorcas afficha un grand sourire en voyant Hazel arriver à s'installer à sa table, ravie de pouvoir partager ce moment avec elle. Même si elles se croisaient tous les jours dans les couloirs de Poudlard, et à la table des professeurs à l'heure des repas, elles avaient rarement l'occasion de bien discuter, soit parce qu'elles se croisaient très rapidement, soit parce qu'il y avait du monde autour d'elles.

Ce n'était pas dérangeant, c'est vrai, mais tout de même, Dorcas appréciait davantage cette situation, d'autant qu'Hazel était la seule de ses collègues qu'elle considérait vraiment comme une amie précieuse, pas juste une personne avec laquelle il lui arrivait de bien s'entendre et d'avoir des conversations relativement agréables.

« Salut, tu as fait des petites emplettes à ce que je vois. »

Dorcas baissa les yeux sur son sac de courses qu'elle aurait presque oublié. Il faut dire que ses emplettes n'avaient absolument rien de fascinantes. Elle n'avait pas fait du shopping pour s'offrir quelques bricoles qui lui feraient vraiment plaisir, non, ses achats avaient été purement utilitaires, jusqu'alors. 

Elle se contenta donc de hocher la tête sans grande conviction. Ce qui est sûr, c'est que ce n'était pas vraiment ses emplettes qui sauraient alimenter leur conversation, loin de là, et elle était convaincue qu'elles auraient des choses bien plus intéressantes à se dire. Ce qui n'était vraiment pas bien difficile vu ce que contenait son sac.

"Oui, enfin, rien de bien intéressant, j'avais deux-trois bricoles à acheter", répondit-elle simplement sans s'étaler davantage sur le sujet. "Comment tu vas ?"

Même si elles se voyaient régulièrement, ce n'était pas pour autant qu'elle était à même de répondre à cette question. Elle savait que pour Hazel aussi, la vie n'était pas simple, les tragédies étaient partout, nombreuses, et elles n'épargnaient personne, raison pour laquelle il était important d'en parler. Et Dorcas espérait que son amie se montrerait totalement sincère avec elle et ne chrcherait pas à minimiser les choses.

Elle pensait dans tous les cas que leur amitié était suffisamment forte pour que ce soit le cas. Il n'était pas question de s'apitoyer mutuellement sur leurs sorts respectifs, mais de se montrer honnête, et elle pensait que l'honnêteté, ça leur connaissait. C'était même le ciment de leur amitié. 

Dorcas savait qu'elle posait à Hazel une question que l'on pourrait juger classique, et qui se révélait pourtant délicate. Elle le comprenait, car quand à elle-même on lui demandait si elle allait bien, elle avait toujours peine à savoir que répondre. Tout n'était pas toujours noir, il y aait des moments d'accalmie, des moments où elle se sentait un peu mieux et sereine, mais elle avait tout de même l'impression de ne plus jamais aller totalement bien. Comme si ele avait épuisé son quota de pur bonheur. 

Il s'était effacé en même temps qu'avaient disparu son époux et sa fille. Hazel, qui elle aussi supportait le poids du deuil, devait en savoir quelque chose. Et c'est aussi pour cette raison qu'elle lui répondrait sans doute plus sincèrement que le feraient beaucoup d'autres. Elles savaient qu'elles pouvaient se comprendre. Elles n'avaient pas attendu cet événement pour être de proches amies, mais de toute évidence, leurs blessures similaires les rendaient plus aptes à entendre les émotions de l'auutre et à la soutenir.

« Je suis contente que les cours aient repris. En fait, je suis contente d’être de retour à Poudlard surtout, c’est… reposant. Ça peut paraître un peu bizarre de dire ça quand on est prof, mais c’est le cas. Et toi ? »

Oui, cela pourrait peut-être sembler bizarre à certains, mais Dorcas n'était pas du tout de cet avis. Loin de trouver cela étrange, elle comprenait. Avoir fait son entrée à Poudlard avait fait du bien à Dorcas également. Elle avait eu besoin d'avoir un vrai rythme. Les cours, les copies, le rythme exigeant de Poudlard occultait un peu ses propres tourments, et aussi, elle se sentait utile. Elle aidait la jeune génération à se préparer au pire, à se défendre contre un mal qui pouvait frapper à tout instant. Alors, elle aussi était heureuse d'être à Poudlard. Et quelque part, elle trouvait cela reposant, elle aussi. Pas forcément physiquement, mais moralement.

"Je comprends exactement ce que tu veux dire. Enseigner à Poudlard me fait plus de bien que je ne l'aurais imaginé. J'avais besoin de ça, je crois. Même si certains élèves sont impossibles." Elle afficha un léger sourire. Les ados restaient des ados. Il n'y avait pas grand-chose que l'on puisse faire contre cela. Il fallait bien que jeunesse se passe, et il était rassurant de se dire que ces ados avaient justement tout de même droit à cette jeunesse. "J'en ai vu certains prendre des paris sur la manière dont je n'allais pas finir l'année."

« Tu vas donc les épater en la terminant de manière tout à fait normale, et en revenant à la rentrée prochaine. »

Dorcas afficha un sourire. C'est ce qu'elle avait envie de se dire aussi, mais elle ne pouvait que mentir en disant qu'elle ne se disait pas parfois que ce poste était effectivement maudit, que ce n'était pas juste des rumeurs, et que d'une manière ou d'une autre, son temps à Poudlard était compté. Le nombre de ses prédecesseurs partis à tour de rôle n'encourageait pas réellement à penser différemment.

Malgré tout, elle ne comptait pas vivre dans la peur constante de ce qui pourrait éventuellement lui arriver, elle admettait sans mal que ce serait un comportement qui n'aurait rien de productif. Non, elle comptait mettre à profit, plutôt, le temps qu'on lui accorderait, tout simplement. Et même si ça ne devait être qu'une seule année, au final, alors elle s'arrangerait pour que cela soit une année enrichissante pour ses élèves, qui leur ait communiqué les armes adéquates afin de faire face aux menaces du monde extérieur. Après tout, ce n'est pas pour rien si elle avait accepté ce poste et y mettait tout son coeur et toute son énergie. Elle voulait contribuer à faire une différence.

« Les élèves impossibles, on ne pas trop faire sans. »

En effet, et elle ne les blâmait pas vraiment en vérité. Oui, ils n'étaient pas forcément ceux pour qui elle avait le plus d'affection, mais elle n'oubliait pas qu'ils n'étaient jamais que des adolescents, tous autant qu'ils étaient. Et si leur comportement, par certains aspects, devait être problématique, c'était aussi son rôle que de justement s'assurer que ces comportements ne s'agravent pas, de les ramener sur la bonne voie.

Et elle ne pouvait pas totalement les blâmer, car elle-même aurait peut-être été capable de faire ce genre de paris stupides du temps où elle était elle-même élève dans cette même école. 

« J’espère que Marlene n’en fait pas partie. D’ailleurs, si jamais elle te demande des cours particuliers, refuse s’il te plaît. »

"Marlene est une excellente élève, je n'ai absolument rien à lui reprocher", la rassura aussitôt Dorcas. Marlene était une adolescente passionnée, investie... parfois un peu trop c'est vrai, mais Dorcas appréciait son tempérament. "Pour ce qui est des cours particuliers, tu me préviens un peu trop tard, je le crains."

« Il faut que tu arrêtes dans ce cas. Elle le fait pour les mauvaises raisons. »

Dorcas ne s'en laissait dicter par personne en règle générale, elle assumait ses positions, elle assumait sa façon de penser et ses choix. Mais certaines personnes avaient le pouvoir de l'encourager à revoir ses position, alors qu'elle en imaginait le bien-fondé.

Hazel faisait partie de ces personnes. Dorcas l'écoutait et se fiait à son jugement. Elle se doutait que si elle s'exprimait ainsi, c'est qu'elle avait de bonnes raisons. Elle était forcément de parti pris étant donné le lien qu'elle avait avec elle, mais elle savait aussi qu'elle était par conséquent la mieux placée pour savoir ce qui devait se tramer dans l'esprit de la jeune jaune et noir.

"Quelles mauvaises raisons ?" demanda-t-elle alors sans cacher sa curiosité.

Elle avait besoin de comprendre, car en fait, elle avait du mal à voir ce qui pourrait justifier de refuser à aucun de ses élèves des cours particuliers pour commencer. Elle ne s'opposerait pas à l'opinion de Hazel si celle-ci restait aussi catégorique, mais si elle devait revenir sur la parole qu'elle avait donné à Marlene, elle voulait pouvoir lui donner de bonnes raisons à cela. De meilleures raisons que : ta tante ne veut pas que je te donne ces cours.

Elle était circonspecte, en tout cas. Marlene était une jeune fille énergique, c'est vrai, qui avait besoin de cadre, mais c'était aussi ce qu'elle pensait pouvoir lui apporter avec ses cours particuliers. Elle se doutait que la jeune Poufsouffle ne voulait pas juste améliorer ses compétences dans l'espoir d'avoir de meilleures résultats scolaires, mais ça, ce n'était pas pour la déranger, c'était même l'inverse.

Si elle avait abandonné son poste d'Auror afin d'accepter le poste de professeur de défense contre les forces du mal, c'était pour préparer ses élèves au danger du monde extérieur, pour leur donner quelques armes... qui ne suffiraient peut-être pas dans les cas les plus extrêmes mais pourrait peut-être leur assurer dans ce monde de plus en plus obscur. Alors si Marlene voulait simplement devenir la meilleure possible dans l'optique de pouvoir se défendre face aux dangers du monde réel, elle ne l'en empêcherait pas. D'un autre côté, il se pouvait aussi qu'elle ait d'autres raisons, celles qu'Hazel voulait lui exposer, et elle comptait bien les entendre.

« Elle veut venger ses parents. »

Une réponse franche, directe et sans équivoque. Dorcas ne pouvait pas prétendre ne pas s'en être doutée, au moins un peu... L'envie de vengeance était un sentiment absolument naturel, il est vrai, en ces circonstances. Elle le savait car elle-même l'avait éprouvé, et c'était même en partie pour cette raison qu'elle avait fait le choix de faire un pas de côté et d'abandonner le métier d'Auror. Parce qu'elle savait que la rage n'était pas un sentiment sain du tout, bien au contraire. Que faire de tout cela une affaire personnelle ne pouvait aboutir qu'au résultat le plus désastreux. 

Non, la vengeance n'était pas un motif digne de ce nom... mais ce n'était pas ainsi que Marlene lui avait présenté les choses. Certes, Dorcas n'était pas née de la dernière pluie, elle voulait bien croire que le deuil avait nourri sa motivation, mais elle l'avait crue quand elle avait affirmé qu'elle voulait faire une différence, qu'elle voulait devenir Auror dans le but de faire le bien, pas pour satisfaire une basse vengeance. 

Dorcas resta quelques secondes interdite. Ce que lui disait son amie prêtait à réfléchir, d'un autre côté, si quelqu'un était capable de comprendre Marlene, c'était bien Dorcas... à la différence qu'elle-même avait pu se raisonner... Alors que la jaune et noir était encore bien jeune, en plus d'être d'un tempérament tout naturellement impulsif, elle avait besoin de cadres, de repères, sans quoi elle se lancerait dans cette vendetta absurde sans aucun filet de sécurité, et la chute serait forcément douloureuse.

"Dans ce cas... il est préférable qu'on soit là pour l'encadrer et la raisonner, tu ne crois pas ?" suggéra-t-elle après un instant. "Que j'accepte de l'aider ou non, elle va vouloir se venger, j'imagine. Si je peux réussir à lui faire comprendre que la vengeance n'est pas une solution en plus de lui apporter quelques armes supplémentaires afin de l'aider à affronter la vie, ça ne peut pas être si nocif, pas vrai ?"

Elle voyait peut-être les choses de travers, elle n'avait peut-être pas entre ses mains les cartes adéquates pour assimiler convenablement la situation, mais quand on lui demandait de l'aide... elle avait envie de la donner, parce que c'était le moins qu'elle puisse faire, selon elle.

« Elle est irraisonnable. »

De toute évidence, leurs opinions divergeaient. Même si Marlene était bornée, chose que Dorcas était entièrement capable de reconnaître, elle avait quand même envie de croire qu’il était possible de la guider dans la bonne direction.

En tout cas, il semblait évident, obsédée comme elle était par ses intentions de vengeance (au point de s’en montrer parfois irrespectueuse envers ceux qui avaient une opinion légèrement différente de la sienne, elle l’avait constaté, déjà), qu’elle avait besoin qu’on la recadre.

Dorcas n’envisageait pas que ce serait chose facile, mais ce serait à ses yeux plus raisonnable de justement ne pas la laisser seule avec ses projets de vengeance, ce qui la pousserait forcément à faire n’importe quoi. Si elle était une tête de mule, il était préférable de tenter de limiter la casse, n’est-ce pas ? C’était en tout cas ce que s’imaginait Dorcas, pour sa part.

Irraisonnable ou pas, Dorcas restait avant tout une adolescente. D’une manière ou d’une autre, elle devait dépendre de l’autorité de ses aînés. Dans le cas contraire, elle ne se serait pas tournée vers elle.

« Elle a décidé de me détester parce que je ne souhaite pas me venger. Je plains ma sœur qui s’occupe d’elle depuis la mort de ses parents, mais j’avoue que je n’aurai pas su la gérer. »

Dorcas était malheureuse d’apprendre que les choses se passaient si mal entre Hazel et Marlene. Bien sûr, elle savait qu’elles avaient quelques problèmes, mais elle n’en avait pas pris la pleine mesure avant cette conversation. Est-ce que ça voulait dire pour autant que la jaune et noir était un cas désespéré ? Dorcas n’acceptait pas de voir les choses ainsi. Elle n’était pas un cas facile, certes, ce n’était pas pour autant qu’elle était un cas désespéré.

"Je regrette que les choses se passent si mal entre vous…", dit-elle d’abord, parce que c’était vrai. Et même si Hazel en parlait avec une certaine distance, Dorcas devinait qu’elle devait tout de même en souffrir malgré tout. "Mais je ne crois pas qu’il soit forcément impossible de la raisonner… Et même si ça devait être le cas, mieux vaut qu’elle soit encadrée plutôt que livrée à elle-même, tu ne crois pas ?" Elle marqua une pause. "Si tu veux vraiment que je lui refuse ses cours particuliers, je le ferais, mais je pense que ce serait un bon moyen de garder un œil sur elle."

« Je ne suis ni sa mère, ni sa tutrice. Je n’ai pas à lui interdire quoi que ce soit, ni à toi non plus. Fais comme bon te semble, je ne m’y oppose pas. »

Non, bien sûr, Hazel n’était ni la mère, ni la tutrice de Marlene, mais elle n’en restait pas moins une figure familiale et d’autorité forte, et qui surtout semblait tenir sincèrement à la jeune jaune et noir. Si Dorcas était dans l’erreur, elle était entièrement capable d’entendre les arguments d’Hazel. Elle agissait en son âme et conscience, mais Hazel s’était montrée si catégorique précédemment.

Quand elle lui avait dit qu’il fallait qu’elle arrête de donner des cours particuliers à Marlene, elle semblait tout de même non pas avoir voulu lui imposer sa vision, mais du moins l’engager à la partager, et ce n’était pas rentrer dans l’oreille d’un sourd. Si bien que Dorcas ne savait pas vraiment sur quel pied danser à l’heure actuelle. Elle ne voulait pas faire mine de prendre à la légère les avertissements ou le discours de son interlocutrice, qui avant tout était son amie. Elle respectait sincèrement son opinion. Et elle ne voulait pas agir sans avoir tenu préalablement compte de toutes les variables qui rentraient en jeu. Cette situation était complexe, et méritait d’être observée dans toute sa globalité.

« Je ne veux pas faire comme bon me semble », répondit prudemment Dorcas, qui ne voulait pas de l’aval de Hazel parce que cette dernière se lasserait de ce débat en l’imaginant stérile et pour aucune autre raison. Elle voulait qu’elles parviennent à un consensus, en faisant ce qu’il y avait de mieux pour Marlene. Parce qu’au bout du compte, c’était de cela qu’il était question avant tout, n’est-ce pas ? « Je veux faire ce qu’il y a de mieux. J’entends tes arguments, je n’ai pas l’intention de les passer à la trappe, mais ce serait sans doute plus simple si nous essayions d’être… deux pour l’encadrer. Je vois bien que tu te fais du soucis pour elle… Je n’ai vraiment aucune envie d’envenimer les choses. »

C’était le cas, elle, elle voulait agir au mieux. Elle avait accepté le poste de professeur de défense contre les forces du mal pour cette raison précise : dans l’espoir d’aider les jeunes générations non pas à foncer tête baissée et à se venger, mais à survivre dans un monde hostile, et dont il était important de ne négliger aucun des dangers.

« Je sais que tu veux bien faire, et en toute honnêteté je ne sais pas ce qui est le mieux. Tu peux tenter d’encadrer Marlene si tu le désires, tu y réussiras probablement mieux que moi. »

Dorcas se mordilla la lèvre inférieure, signe de son embarras. Elle craignait de s'être mal exprimée, et surtout d'avoir sans le vouloir vexé son interlocutrice. Ce n'était pas ce que lui disait Hazel, mais en même temps, l'entendre lui dire qu'elle parviendrait mieux qu'elle à encadrer Marlene la mettait dans une position inconfortable. Marlene n'était qu'une élève pour Dorcas, ce n'était pas le cas en ce qui concernait Hazel, et par conséquent, elle ne vouait pas se mettre dans une position qui ne devrait pas être la sienne et dans le même temps, sans le vouloir, rabaisser son amie.

Elle était convaincue qu'Hazel, mieux que personne, était capable de faire entendre raison à Marlene et de la mener dans la bonne direction. Le but de Dorcas n'était pas de tirer la couverture à elle, juste d'aider les McKinnon dans la mesure du possible. Mais elle n'était plus vraiment sûr de ce qu'elle devait faire à présent. Dorcas ne voulait pas du tout qu'Hazel accepte qu'elle fasse comme bon lui semblait par simple dépit. Elle n'avait aucune envie que tout ceci engendre la moindre friction entre elles. Hazel était une amie précieuse pour Dorcas, elle n'avait pas la moindre envie de l'incommoder ou de s'opposer à ses manoeuvres.

"Ne dis pas ça, je suis bien moins habilitée que toi à l'aider. La preuve, regarde, je la connais bien moins que toi." C'était une chose que leur conversation avait manifestement prouvé. "Je ne veux pas agir dans mon coin et faire quelque chose qui te dérangerait. Au contraire, vu les circonstances, je pense que c'est mieux de faire les choses à deux. Tu pourrais assister à ces cours particuliers, peut-être ? Comme ça, ce serait sans doute plus simple, et j'éviterais de faire une bourde ou une autre..."

Elle ne savait plus vraiment dans quoi elle s'embarquait. Ce qu'elle savait, c'est qu'elle voulait à la fois être une bonne amie et un bon professeur, elle tenait à faire les choses bien et à les faire dans le bon ordre. Si c'était possible.

« Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Elle ne va pas apprécier, et elle se sentira observée, et muselée sans doute. Puisque ces derniers temps, le monde est contre elle. »

Ce semblait être un bon résumé de l'état d'esprit de Marlene, et même si ça la rendait difficile, Dorcas ne la blâmait pas. Etant donné ce qui lui était arrivé, elle était en colère contre le monde entier, et c'était compréhensible. Dorcas était passée par là, elle aussi, et c'était pour cette raison, justement, qu'elle était attachée à vouloir aider l'adolescente...

Mais la décision d'Hazel était manifestement prise, et elle ne changerait pas d'avis. Dorcas avait envie d'au moins demander son opinion à Marlene, puisque Hazel parlait à sa place sans lui donner l'opportunité de lui laisser la parole et de dire ce qu'elle pensait. Mais c'était des affaires de famille, et Dorcas n'était pas en droit de s'interposer. Elle en avait envie, mais elle ne le ferait pas, parce qu'elle respectait Hazel, et elle ne voulait pas contrevenir à ses choix et à ses décisions. D'autant qu'elle savait pertinemment qu'elle pouvait tout à fait avoir tort. Elle était loin d'avoir la science infuse.

Elle voulait juste faire ce qu'il fallait pour la plus jeune génération. Elle était devenue professeur pour cette raison, pour offrir à ses élèves la chance que sa fille n'avait pas eu. Mais elle ne savait visiblement pas y faire.

"J'ai bien compris. Et je ne ferai rien, dans ce cas. Je vais dire à Marlene que ces cours particuliers sont une mauvaise idée. Je m'excuse, j'aurais dû te demander ton avis avant de lui promettre quoi que ce soit."

Pour ce qui était d'être en colère, Marlene le serait très certainement contre elle quand elle lui apprendrait qu'elle renonçait à lui donner ces cours particuliers, mais il était normal qu'Hazel ait le dernier mot dans cette affaire, c'était une chose à laquelle elle ne contreviendrait pas. Certes, elle n'était pas sa tutrice, elle n'en restait pas moins une figure d'autorité bien plus légitime qu'elle vis-à-vis de la jeune jaune et noir. Elle continuait à penser que quitte à vouloir se battre à tout prix, il valait mieux que Marlene soit strictement encadrée. Elle commençait à se dire que Marlene avait raison. Elle n'était finalement pas capable de faire quoi que ce soit pour aider ces enfants.

"Je voulais juste... faire une différence", ajouta-t-elle en baissant les yeux sur la table.

« Dorcas, écoute. Je ne suis pas très objective, et un regard extérieur, une aide extérieure pourrait être bénéfique pour Marlene. Je n’ai pas à te dire quoi faire, ou ne pas faire. Alors… fais ce qui te semble le mieux, ce qui te semble juste. J’ai foi en ton jugement. »

Il est certain qu'Hazel ne pouvait pas être objective dans ces circonstances, mais Dorcas ne l'était pas forcément beaucoup plus. Elle n'était pas proche de Marlene, elle ne la connaissait pas en dehors de ses cours, mais elle n'allait pas faire mine qu'il n'y avait rien de personnel dans sa décision de l'aider ou encore d'accepter de lui donner des cours particuliers.

Tout était, d'une certaine manière, personnel dans la vie de Dorcas à ce jour. Elle était loin d'être encore cette jeune femme ingénue, utopiste et volontaire qui avait fait le choix de suivre la formation des Aurors par souci pur de justice, sans aucun a priori personnel, juste le désir sincère et profond de faire le bien, de faire ce qui était juste, rien de plus, rien de moins. Non, elle n'était plus cette personne.

Depuis, elle avait vu le mal à l'oeuvre, elle avait constaté les dégâts qu'il faisait sur les uns et sur les autres, et ça l'avait marqué, ça l'avait changée. Et bien sûr, il y avait eu le décès de son époux et de sa fille, qui avait définitivement fait passer ces considérations de désintéressées à personnelles. Alors non, elle n'était pas objective. Tout ce qu'elle décidait de faire, que ce soit devenir professeur à Poudlard, participer à la fondation d'un club de duel ou donner des cours particuliers à Marlene, tout cela participait de la même chose, au final.

Au terme de cette conversation, elle ne savait tout simplement plus ce qu'elle devait faire ou non. Le plus simple était sûrement de ne pas prendre de décision trop impulsive et se donner le temps d'y repenser à tête reposée, en opposant leurs opinions respectives.

"Je ne sais plus...", répondit simplement Dorcas avec un léger sourire. "Je crois que je vais juste me laisser le temps d'y réfléchir."

C'était le plus simple, les décisions impulsives étaient rarement les bonnes, même si agir de manière impulsive était une chose à laquelle Dorcas était certainement un peu trop habituée.

"Et si on parlait d'autre chose, qu'est-ce que tu en dis ?"

« Oui, bien sûr. Désolé, j’ai un peu plombé l’ambiance. »

Dorcas fit doucement "non" de la tête, en accompagnant son geste d'un sourire. Hazel n'avait pas la moindre raison de s'excuser, ce n'était pas elle ou son discours qui étaient à remettre en cause, mais les circonstances de manière générale, qui rendait difficile de savoir comment s'y prendre pour agir de la façon la plus mesurée et la plus juste. Tout, constamment, se voyait livré à la merci des incertitudes les plus diverses et variées, il y avait de quoi s'inquiéter ou se prendre la tête, mais il n'y avait personne à plomber du doigt pour cela. Ou du moins, ce n'était pas Hazel qui devait l'être.

C'était plus compliqué que cela. L'ambiance était de plomb parce qu'il était difficile, voire impossible d'occulter l'obscurité, les difficultés, le passé, et le passé de chacun. C'était à imputer aux circonstances, et par conséquent, même les conversations entre amies qui se voulaient légères et innocentes pouvaient prendre de ce même plomb dans l'aile... c'était inévitable, en somme.

« Enfin bref, parlons d’autre chose tu as raison. Alors, dis-moi, quelle est la plus grosse bêtise que tu as faite pendant tes années d’étude ? »

Pour un changement de sujet, c'en était un, et radical, mais Dorcas n'allait pas s'en plaindre, c'était une très bonne façon de les tirer de leurs conversations précédentes et de se changer les idées : songer à leur passé respectif, à leurs années estudiantines... on était sûr d'y puiser plus de légèreté, alors.

Tout n'avait pas été parfait durant les années d'études de Dorcas à Poudlard, mais elle avait adoré étudié dans cette école. Tout semblait simple, léger, à cette époque. Et ce qu'elle prenait alors pour de grands drames de l'existence se révélait très vite bien innocent. Elle n'avait pas forcément envie de revenir à cette époque, où comme beaucoup d'ados, elle n'avait pas spécialement été bien dans sa peau, mais c'était une perspective assez tentante, parfois, quand même. Juste pour chasser de la main les angoisses, les drames, le deuil, la perte. Tout ce qui a été et ne sera plus jamais.

"Bonne question... J'en ai fait tellement. Je perdrais toute crédibilité auprès de mes élèves, s'ils savaient", plaisanta l'ancienne Poufsouffle. "Je suppose que le plus humiliant, c'est quand j'ai fait exploser sans le vouloir une bombabouse qui traînait dans mon sac en plein cours de métamorphose. Je la réservais pour plus tard. Je peux te dire que je l'ai senti passer." Elle marqua une pause. "Et toi alors ? Quelles ont été tes plus grandes frasques à Poudlard ?"

« Oh tu sais ce qu’on dit, que les meilleurs enseignants sont ceux qui ont été les pires élèves. Mais c’est vrai qu’il vaut mieux que tu ne leur racontes pas ça. »

C'est vrai qu'elle l'avait déjà entendue, celle-là, et ce n'était sans doute pas faux, effectivement. Dorcas avait toujours mis ses professeurs sur un piédestal quand elle était élève. Oh, bien sûr, ça ne l'avait pas empêchée de faire beaucoup d'erreurs, vraiment, et de ne pas toujours respecter ses enseignants autant qu'ils l'auraient dû, c'est un fait, mais oui, elle les avait un peu considérées comme des créatures inhumaines, qui n'auraient que leurs cours et leurs élèves comme préoccupation.

Sauf que, depuis, elle était devenue professeur elle-même, et cela avait évidemment changé sa perception des choses en bien des points. Les professeurs n'étaient déjà que des êtres humains comme tous les autres, avec leurs failles, leurs erreurs et leur jugement. Mais ils se devaient de présenter un visage différent avec leurs élèves, c'était une manière d'imposer leur autorité, et donc oui, clairement, il était préférable qu'aucun de ses élèves n'apprenne jamais ce qu'elle était en train de raconter à Hazel.

« Hm… j’ai surtout été prise à être dans les couloirs après le couvre-feu, ou à faire le mur. Une fois on est allé à Pré-au-Lard en pleine nuit avec une bande de copains, on avait l’impression d’être les rois du monde, mais je ne te raconte pas ce qu’on s’est pris le lendemain, on a beaucoup moins ri. »

"Oh ça m'est arrivé aussi, ça... En même temps, je pense que l'administration le cherche un peu. On nous fait visiter ce village incroyable où on peut avoir tout à disposition, et qui n'est qu'à une petite trotte à pied du château et on s'attend à ce qu'on n'ait pas la tentation de s'y rendre ? Evidemment qu'on va faire le mur ! Je suis quasiment certaine qu'une grande majorité des élèves de l'école depuis sa création a fait le mur ou l'école buissonnière pour se rendre à Pré-au-Lard, c'est presque traditionnel à ce stade."

Ou bien c'était l'impression qu'elle avait car elle-même n'avait pas eu besoin d'être sollicitée bien longtemps pour avoir ce genre d'habitude, et pourtant, même si elle avait commis un certain nombre de frasques, elle n'était pas non plus l'élève la plus indisciplinée de tout Poudlard.

"Parfois, j'avoue que c'est difficile de punir certains élèves quand on sait qu'à leur place on aurait sans doute fait exactement la même chose."