Quand le soleil décline (Caradoc)

Et voilà, la nuit commençait déjà à tomber. Les longues nuits d'été étaient définitivement derrière eux. Si Lily trouvait du charme à toutes les saisons, elle aimait vivre avec le jour, et n'appréciait pas de le voir décliner trop vite. Mais c'était un bon rappel à l'ordre, il était temps pour elle qu'elle rejoigne sa salle commune.

La dernière chose qu'elle puisse vouloir était de dépasser le couvre-feu, elle qui devait justement veiller à le faire respecter. Elle avait encore un peu de temps, mais la rouquine y voyait un signe malgré tout, il était temps qu'elle rejoigne son dortoir.

De toute façon, avec la luminosité déclinante, elle serait bientôt incapable de lire le moindre mot du livre qu'elle dévorait, installée dans l'herbe du parc, profitant d'un temps certes frais mais encore agréable, un peu à l'écart de ses camarades, dont elle adorait la compagnie mais aimait à s'isoler quand elle voulait se plonger dans ses lectures.

La jeune femme se redressa, épousseta rapidement sa robe de sorcière et, son livre sous les bras, fit les premiers pas qui devaient la conduire au château. Mais après quelques pas, elle eut la sensation déplaisante d'avoir oublié quelque chose, que quelque chose lui manquait.

Il n'y avait pas de raison, pourtant, il n'y en avait même aucune, elle n'avait pris qu'un nombre limité d'affaires. Sa baguette était dans sa poche, son livre sous son bras... Elle passa une main distraite sur son cou, et compris alors dans l'instant. Son collier.

Depuis que James le lui avait offert, il ne quittait presque jamais son cou. Elle n'en donnait aucune explication concrète, et encore moins la plus évidente, mais en sentant que ce dernier avait dû se détacher et se perdre dans l'herbe du parc, elle sentit un vent de panique la saisir. Le nez figé au sol, elle rebroussa chemin, essayant de retrouver son bijou sur ses pas. Elle devait avoir l'air ridicule, à fouiller ainsi dans l'herbe, mais tant pis. Et avec le soleil qui déclinait, c'était d'autant plus compliqué de trouver quoi que ce soit, mais elle insisterait, en espérant qu'elle ne l'avait pas bêtement écrasé dans le processus.

A quatre pattes dans l'herbe, elle ne fit pas gaffe au fait qu'elle venait d'être rejointe, heureusement par l'un de ses amis.

"C'est ça que tu cherches ?"

Lily sursauta quand elle entendit une voix dans son dos. Elle n'avait pas du tout entendu Caradoc se rapprocher, elle se redressa, un peu mal à l'aise, le visage aussi roux que ses cheveux, dont elle dégagea une mèche ondulée derrière ses oreilles tout en se tournant vers Caradoc.

Elle n'avait pas franchement voulu être vue dans cette position, mais quitte à l'être, elle préférait, et de loin, que ce soit Caradoc qui ait assisté à ce déplorable spectacle, elle à quatre pattes dans l'herbe, à se désespérer mentalement de ne pas retrouver ce qu'elle cherchait. Elle se tourna vers son ami et lui sourit.

Non seulement Caradoc était là et était suffisamment sympathique et compréhensif pour ne définitivement pas se payer sa tête, mais en plus, il avait retrouvé son collier. Une histoire vieille comme le monde : on pouvait chercher une chose pendant une bonne heure, et il suffisait qu'une autre personne arrive, jette un oeil quelques secondes pour trouver directement ce que vous vous évertuiez à chercher. Cela peut être frustrant, mais la rouquine se sentait vraiment trop soulagée d'avoir retrouvé son collier pour penser de cette manière.

"Oui, c'est ça", dit-elle avec un grand sourire en récupérant son collier et en l'attachant autour de son cou. "Merci beaucoup, c'est un cadeau, j'y tiens beaucoup, j'aurais vraiment pas voulu le perdre."

Il allait falloir qu'elle fasse attention et qu'elle vérifie l'attache du collier. Il avait cédé très facilement, ce n'était pas forcément très rassurant à constater. Mais attention ou pas, ce qui comptait avant tout, c'était que le collier était à présent autour de son cou. Lily ne s'attarderait pas sur ce qu'il représentait, elle savait simplement qu'il était important pour elle, et elle ne voulait surtout pas que cela change.

"Tu vas bien ? Qu'est-ce que tu fais dehors ?"

Elle ne pensait pas l'avoir vu quand elle-même s'était installée dans le parc, mais à partir du moment où elle avait été plongée dans sa lecture, elle n'avait pas forcément été très attentive.

En attendant, c'était bientôt le couvre-feu, et elle n'oubliait pas (comment le pourrait-elle) qu'elle était la préfète de sa maison, aussi Caradoc devait lui aussi rejoindre sa salle commune au plus vite.

"Pas grand-chose, en fait. J'aime bien me promener, je profitais du fait qu'il fasse encore un peu beau..."

Il n'y avait pas besoin de davantage d'explications, en même temps. Lily était tout à fait capable de comprendre l'attrait de Caradoc pour la nature et quelque chose d'aussi simple qu'une agréable promenade. Il est vrai que le temps était encore doux, le soleil ne se couchait pas encore trop tard, et il y avait de quoi en profiter. Ce n'était pas pour rien si Lily avait préféré lire dans le parc plutôt que de s'enfermer dans la salle commune.

Et elle reconnaissait bien là Caradoc. C'était une chose qu'elle appréciait vraiment chez lui, une chose qui les avait réunis pour commencer et leur avait vite prouvé qu'ils s'entendraient très bien tous les deux. Ils aimaient les choses simples. Ils pouvaient se satisfaire d'un rayon de soleil sans se sentir la nécessité d'en réclamer davantage. Et Lily, si elle n'était pas préfète et donc n'avait pas des règles à faire respecter, aurait bien suggéré au passage à Caradoc de se promener encore un peu avec elle. Mais il leur fallait rentrer. Il allait bientôt faire nuit de toute façon.

"Il est joli, ce pendentif, c'est vrai que ça aurait été dommage de le perdre. C'est qui qui te l'a offert ?"

Lily sentit ses joues devenir presque aussi rouges que ses cheveux tandis qu'elle commençait à regretter d'avoir si légèrement dit que ce pendentif était un cadeau et qu'il comptait pour elle. Certes, c'était effectivement la vérité. Et elle ne devrait pas en avoir honte non plus, mais ça la mettait forcément un peu mal à l'aise. C'était le genre de choses qu'elle avait encore du mal à partager parce qu'elle-même ne savait pas exactement qu'en penser, précisément.

Mais Caradoc ne serait pas du genre à la pointer du doigt ou à se moquer, et Lily n'était pas du genre à mentir. Alors elle pouvait très bien lui répondre... tout en se montrant quand même un petit peu évasive... il y avait des choses qu'elle n'avait aucune envie de dire.

"Hum..." Elle se racla la gorge et baissa les yeux, comme si elle s'apprêtait à parler de la pluie et du beau temps et que ça n'avait pas la moindre importance. "James..."

Si elle pouvait encore parler plus bas, elle le ferait.

"Ah... J'aurais pas cru... enfin, le prends pas mal, hein, mais je pensais pas que toi et lui..."

Caradoc semblait surpris... et presque déçu, et Lily se sentit d'autant plus mal à l'aise. Elle savait que le courant ne passait pas forcément très bien entre lui et le reste de ses camarades de dortoir, et la rouge et or n'avait pas de mal à comprendre pourquoi, il ne devait vraiment pas être simple de devoir supporter la.. personnalité flamboyante de ses camarades au quotidien.

Et donc, oui, il ne devait pas forcément apprécier de savoir que son amie fréquentait un garçon dont... disons qu'ils n'avaient pas d'atomes crochus, et Lily s'était bien suffisamment plainte du comportement de James, et publiquement, pour que ça paraisse d'autant plus insensé...

Elle-même s'en rendait bien compte. Elle avait l'impression qu'il y avait une sorte de fossé entre le James Potter fanfaron qui paradait dans l'école, se la jouait beaucoup et malmenait Severus dès qu'il en avait l'occasion et celui qu'elle découvrait quand ils étaient en tête à tête, et qui était capable d'avoir de longues et profondes conversations, d'échanger sérieusement avec elle, d'être attentionné... Quand ils n'étaient que tous les deux, l'image négative qu'elle avait de lui s'effaçait, imperceptiblement.

Puis elle lui revenait de façon évidente quand elle le voyait agir en cours ou avec ses camarades, ou encore quand elle devait l'observer à travers le regard des autres, comme c'était le cas avec Caradoc.

"Oh va rien t'imaginer, on est juste amis..."

Mais rien que ça, déjà, et l'hésitation avec laquelle elle prononçait ces mots en disait long quant au fait que Lily elle-même était dans l'incapacité totale de vraiment mettre des mots sur sa relation avec James. Est-ce que c'était vraiment ainsi qu'il fallait qu'elle la définisse. Rien que hisser James au statut d'ami était déjà lui faire beaucoup d'honneur en réalité.

Elle n'avait pas envie de réfléchir à sa relation avec James sous un angle plus complexe, mais c'était forcément plus complexe que cela. Et quelque part, c'était même... indispensable, parce que James, lui, contrairement à elle, était très clair ses intentions. Presque trop clair pour Lily, d'ailleurs, qui avait d'autant plus de mal à gérer cette situation.

"T'as pas à te justifier, hein, t'inquiète."

Non, bien sûr qu'elle n'avait pas à se justifier, et elle savait que personne n'attendait réellement ça de sa part, mais c'était plus facile à dire qu'à faire, car en vérité, elle ne pouvait s'empêcher de se justifier quand même. Ce n'était pas tant pour convaincre son interlocuteur que pour se convaincre elle-même, au final. Pour tout dire, elle se sentait quand même assez paumé. Cette décision la dépassait un peu.

Elle se torturait l'esprit au sujet de James, et n'osait pas vraiment le concéder car la partie la plus rationnelle d'elle-même considérait qu'il n'y avait pas de questions à se poser, du tout. Elle devrait tout simplement envoyer balader James comme elle l'avait toujours fait jusqu'ici.

Car même si, très hypothétiquement, elle décidait de laisser sa chance à James Potter, elle considérait quand même qu'il y avait de très bonnes chances pour que le tout aboutisse au fiasco le plus monstrueux. Et elle ne serait pas seulement touchée dans son orgueil, elle aurait le coeur brisé. Est-ce que ça en valait la peine. Non, ça n'en valait définitivement pas la peine. Et en même temps, elle gardait à l'esprit ce centième de scénario à la probabilité très limitée, où tout se passait bien...

Elle n'était pas au clair avec elle-même, et elle devrait attendre de l'être avant d'en parler à qui que ce soit. Caradoc compris, évidemment. Elle ne savait même pas comment il se retrouvait à être le premier avec qui elle évoquait le sujet alors qu'elle-même en disait le moins possible sur la question à Mary, de crainte d'entendre sa réaction. Et dire qu'elle reprochait si souvent à sa meilleure amie de lui faire des mystères...

"Mais même comme amis, désolé hein, mais toi et lui, c'est le jour et la nuit."

"Oui, je sais bien...", répondit Lily, de plus en plus mal à l'aise.

Caradoc ne lui apprenait rien, elle le savait en effet pertinemment. Si elle n'avait pas besoin de se justifier, elle avait quand même le sentiment que son ami voulait qu'elle le fasse. Sauf qu'elle n'avait pas de vraie justification à donner, vraiment pas.

"Tu... voudrais pas qu'on parle d'autre chose, plutôt ?" proposa-t-elle alors pour se tirer de l'embarras.

"Ok, mais tu sais ce que j'en pense."

Lily afficha une fine esquisse de sourire sans pour autant répondre. A l'évidence, ce serait inutile. Oui, elle savait, elle avait bien compris ce qu'il en pensait, mais elle préférait s'épargner son opinion. Ce n'est pas qu'elle n'était pas avisée, c'est qu'il ne lui disait rien qu'elle ne sache pas déjà, dans le fond. L'adolescente avait juste besoin de faire ses propres choix, d'écouter son... coeur, ou quelque chose du genre. Et si elle devait réaliser que c'était une connerie monumentale, eh bien elle ne pourrait s'en prendre qu'à elle-même, mais au moins, elle aurait tenté le coup.

Elle n'aimait de toute façon pas trop parler de ce qui se passait - ou ne se passait pas - avec James pour le moment. C'était encore trop compliqué, trop flou dans son esprit. Elle avait déjà besoin d'en débattre avec elle-même avant que d'en débattre avec qui que ce soit. Et pour le moment, ce n'était pas gagné du tout.

Au moins, Caradoc n'en rajoutait pas encore une couche. Non, il acceptait bel et bien de changer de sujet. En son fort intérieur, la rouquine lui en était reconnaissante, elle n'avait pas particulièrement envie de devoir en entendre parler pendant des heures et des heures. Elle se faisait déjà suffisamment chambrer en temps normal à ce sujet, aucun besoin d'en rajouter encore une couche, de quelque manière que ce soit.

"Qu'est-ce que t'étais en train de lire ?"

Voilà le genre de sujet sur lequel il lui était plus simple de rebondir. Bon, Lily n'était pas convaincu que son ami serait forcément passionné par sa lecture du moment, mais si cela pouvait leur permettre d'enterrer définitivement - ou temporairement - le sujet Potter, elle ne risquait certainement pas de dire non, loin de là.

"Un roman moldu", dit-elle en montrant la couverture de l'ouvrage à son interlocuteur afin qu'il puisse en lire le titre et observer l'illustration en couverture. "Les Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë, c'est un classique chez les Moldus. Tu en as déjà entendu parler ?"

C'était tout à fait possible, Caradoc était un sang mêlé, après tout, donc il serait tout à fait probable que le titre de l'ouvrage lui soit ne serait-ce qu'un peu familier.

"Non, du tout. En fait, je sais même pas pourquoi je t'ai posé la question, je suis vraiment inculte"

"Ne dis pas de bêtise, tu sais toi-même que c'est complètement faux", répondit la rouquine avec un sourire.

Elle ne savait pas trop si Caradoc était sérieux ou pas, mais dans le doute, elle préférait l'empêcher immédiatement de se dénigrer davantage. Oui, affirmer qu'il était inculte était d'une bêtise consommée. Bien sûr qu'il n'était pas inculte, loin de là, même.

On ne pouvait pas être bon dans tous les domaines, ça c'est sûr. Lily aimerait bien disposer d'un savoir absolu, mais elle avait compris de longue date que ce ne serait pas possible, mieux valait s'en tenir à des champs d'expertise qui nous passionnaient et les faire fructifier. Malgré tout, elle prenait la décision de ne pas développer ni accabler Caradoc avec ça... parfois, développer ou apporter des justifications dans ce genre de cas, c'était donner du grain à moudre à des incertitudes qui savaient très bien y faire par elle-même pour germer et grandir.

Elle préférait donc exprimer sur le ton de l'évidence le fait que Caradoc valait bien plus que ce qu'il prétendait. Et il ne pourrait pas lui donner tort, en fin de compte.

"Pourtant, j'ai pas d'excuse, mon père est moldu. Mais on peut pas dire qu'on ait beaucoup de bouquins à la maison, cela dit."

Mais ça ne voulait rien dire, ça. Le père de Lily, par exemple, était un grand fan de musique classique. En grand mélomane, il avait voulu sensibiliser ses deux filles à sa passion, mais si Lily, de son côté, pouvait parfois trouver une mélodie plaisante et agréable, elle serait bien incapable de distinguer Bach de Mozart ou Beethoven. Donc au final, elle aussi était inculte, certainement.

"Et du coup, hum..., ça parle de quoi ? C'est bien ?"

"D'amour, de malédiction, de fantômes et de vengeance. De prime abord, ça peut avoir l'air un peu fleur bleue, mais je suis sûre que t'aimerais bien. Je te le prêterais quand je l'aurais fini, si tu veux", suggéra-t-elle avec le sourire, mais sans aucune forme d'obligation.

Elle était tout à fait portée à croire qu'il avait juste voulu se montrer poli avec elle et se fichait parfaitement de ces histoires d'amour et de fantômes. Ce serait compréhensible.