Alecto Carrow [Fini]

Quand on apprit à Edward Carrow le décès de son épouse, ce fut pour lui un choc brutal. C'était comme si on lui arrachait le cœur d'un coup sec. Et personne ne parvint jamais vraiment à le lui rendre, comme si sa cage thoracique s'était aussitôt refermée sur un trou béant. Un vide absolu. Quand on le rassura, en lui apprenant que les deux enfants avaient survécu, ce fut presque un nouveau choc, comme une révélation. Accablé par le décès de Virginia, il en avait presque oublié qu'elle était enceinte. Et de huit mois pourtant. De jumeaux (la gémellité ne prenait pas toujours la peine de sauter des générations dans leur famille). C'est abruti de chagrin et de détresse qu'il a tenu pour la première fois Amycus et Alecto dans ses bras. Ridiculement petits contre sa poitrine, nés prématurément. L'accident était stupide. Elle avait glissé sur de la glace, sa tête avait heurté un rocher.

Parfois, Edward Carrow en voulait à ses enfants d'avoir survécu à sa femme. Parfois, il rêvait de les échanger contre sa femme décédée. Mais le temps passant, les larmes cédant à deux enfants d'un calme exemplaire, il apprit à aimer au moins l'un des deux. Il ne les a pas exactement élevés. Veuf ou non, c'est un rôle auquel il ne se serait pas prêté. Ses propres parents ne l'avaient pas exactement élevé non plus. Les précepteur et les elfes de maison sont là pour ça... Un système établi de longue date chez les Carrow, famille fortunée de sangs purs. Alecto et Amycus ont grandi en huis-clos. Leur père les intégrait le moins possible au monde... ce monde où tout pouvait les toucher et les atteindre. C'est comme ça que les jumeaux l'ont compris d'abord. Sans deviner qu'Edward Carrow cherchait surtout à tenir le monde à l'écart de ses propres agissements.

À quel moment les caresses d'Edward ont-elles transgressé les limites de l’innocence pour prendre un caractère plus ténébreux ? A-t-il même eu conscience d’avoir franchi une frontière ? Ou y avait-il eu d’emblée une certaine compromission dans sa façon de la tenir et de jouer avec elle ? Quand il doit lui donner un nom, il parle d’amour. Pour lui, il ne peut y avoir de barrière entre eux. La seule femme qu’il ait jamais aimée lui a été arrachée violemment, et il a reçu ce cadeau en échange. Il adoucit parfois le cauchemar récurrent de l’accident en pensant non pas qu’Alecto ressemble à Virginia mais que, par quelque artifice obscur, Alecto est sa mère, qu’au cours de ces terribles et ultimes secondes, une étincelle vitale est passée du corps mourant au corps vivant afin de rester au monde. De même, lorsqu’elle grandira, il ne pourra pas supporter l’idée de partager Alecto avec un autre homme... pas même avec son propre fils. La relation fusionnelle entre Alecto et Amycus, il ne la supporte pas. Pour Edward, Alecto est la réincarnation, Amycus est l'assassin. Et il le traitera toujours comme un moins-que-rien. Sur Alecto, les caresses ont coulé. Sur Amycus, les coups ont fusé.

Edward s’abstiendra de rapports complets avec Alecto jusqu’à ses neuf ans. A ses yeux, c'est un cadeau, une faveur. Alecto n'a rien vu d’aberrant, d’abord, dans ce que son père lui fait. Comment aurait-elle pu savoir ? Elle ne s’interrogeait pas non plus quand son père insistait pour qu’elle garde le secret et n’en parle à personne, pas même à son frère. Ce n’était pas une menace. C’était comme ça, un point c’est tout. Certaines des choses qu’il lui faisait faire étaient dégoûtantes, certaines étaient douloureuses, mais c’est le propre du corps humain. Il y a tellement de choses dégoûtantes, tellement de choses qui font mal et qu’on est bien obligé de supporter. Ce n’est qu’en grandissant qu’elle éprouva l’impression croissante que ce n’était pas normal.

Il faudra son entrée à Poudlard, et le contact de ses camarades, pour qu'elle prenne progressivement la mesure de ce que son père lui fait subir. Elle sait que son père ne voulait pas qu'elle aille à Poudlard. Il ne voulait pas qu'elle lui échappe, mais la réputation de sa famille aurait été résolument entachée s'il n'avait pas fait cette concession. Alecto, comme son jumeau, est envoyée à Serpentard, et elle a d'abord du mal à s'intégrer. Amycus et elle ont tendance à se renfermer sur eux-mêmes, à rester entre eux. Mais Alecto comprend rapidement qu'elle se fera écraser si elle ne s'impose pas auprès de son entourage. Elle se forge une carapace. Et elle devient progressivement la garce intraitable que tout le monde connaît aujourd'hui.

Ses failles, elle ne les montre qu'à son frère, même s'il devra attendre leurs quatorze ans pour qu'elle ose lui apprendre ce qu'elle doit subir tous les étés. Ensemble, ils ont le projet de fuguer loin du père tortionnaire, mais en attendant, Alecto savoure chaque journée passée à Poudlard. Elle n'aime pas les cours, elle déteste ses professeurs, mais en bonne reine des abeilles, elle a trouvé sa place parmi les autres élèves de l'école.

Alecto a tous les défauts du monde. Elle n'a pas l'intention de les corriger. Elle les porte sur elle et elle les assume. Alecto est prétentieuse. Pourtant, elle n'est pas la plus fine ou la plus intelligente, mais elle a compris depuis longtemps que les apparences importent plus que les faits. Pour être important, il faut se donner l'air important. Elle est douée pour ça. Alecto est superficielle. Elle accorde une importance primordiale à ce qu'on pense d'elle. Le reste est secondaire. Tant qu'on peut donner l'impression que tout va bien, on garde le contrôle. Tant qu'on donne l'impression de se croire au-dessus des autres, on se donne la chance d'être vraiment au-dessus des autres.

Alecto est très coquette. Elle est de ces filles qui peuvent passer plus d'une heure dans la salle de bains pour se préparer le matin. Elle tient à être parfaite, rien ne doit jamais dépasser. Elle est un peu maniaque, car ce trait de caractère ne s'applique pas uniquement à son apparence, mais à tout ce qui l'entoure.

Alecto est directive. Elle aime commander, elle aime que les choses se passent comme elle l'a décidé et pas autrement. Quand tout ne se passe pas exactement selon ses plans, elle perd ses moyens et peut se montrer... encore plus désagréable qu'en temps normal. Car oui, Alecto n'est pas une personne agréable en règle générale. Elle est même terriblement méchante avec ceux qu'elle a dans le nez. Rabaisser les autres pour se sentir supérieure, c'est sa spécialité. Si elle peut attaquer les autres sur leurs points faibles, elle n'hésitera pas. Elle est une peste, une vraie de vraie.

Capricieuse, elle veut toujours que tout lui tombe tout cuit dans le bec. Elle n'aime pas attendre, elle déteste le mot "non". Là où elle est intelligente, c'est qu'elle sait manipuler les gens autour d'elle pour obtenir ce qu'elle veut. Monter les gens les uns contre les autres est même une de ses spécialités. Elle n'est par ailleurs pas très empathique. Faire du mal aux autres ne lui causera pas de scrupules particuliers. Sauf si vous appartenez à la catégorie des gens qu'elle aime sincèrement. Mais ces gens ne sont pas nombreux.

Séductrice, elle aime plaire, elle aime attirer l'attention. Elle déteste qu'un garçon ne lui cède pas. C'est pour elle un échec véritable. Mais elle plaît aux garçons. Parce qu'elle sait jouer les parfaites idiotes prêtes à tout pour sa moitié. Jusqu'à ce que ça se retourne contre la moitié en question.