L'amitié est comme le bon vin { Regulus

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e pouvait sembler étrange de la part de quelqu'un d'aussi sérieux et calculateur que Regulus Black, mais c'était pourtant un fait, il n'avait pas envisagé son avenir sous un angle professionnel depuis une éternité. Lui-même trouvait cela relativement étrange de sa part, mais cela n'avait pas été sans raison. Plus jeune, oui (même s'il restait encore très jeune, ce n'était pas vraiment la question), il s'était posé des questions sur le sujet, et il s'était imaginé suivre la même voie que son père et donc trouver un travail administratif au ministère, rien de bien fascinant, mais suffisamment prestigieux sur le papier pour asseoir son influence et sa réputation et contribuer à la fortune familiale... mais quelque chose avait changé entre-temps.

Entre-temps, le seigneur des ténèbres avait gagné en pouvoir et en influence, et dès lors, Regulus avait su qu'il allait devoir reconsidérer tous ses projets. Il ne pourrait pas suivre les traces de son père, pas pour le déshonorer ou le dépasser, mais parce qu'il était appelé à d'autres desseins, si nobles que personne ne pourrait lui reprocher de s'y dévouer comme il se devait. Il deviendrait un mangemort et consacrerait l'entièreté de son temps et de son énergie à la cause du mage noir. A partir de là, envisager de travailler était devenu abstrait.

Mais voilà, cette sacrosainte cinquième année était aussi celle où on invitait les élèves de l'école à réfléchir à leurs perspectives d'avenir, et il ne pouvait pas non plus ignorer sa conversation avec son professeur d'arithmancie, qui l'avait fait réfléchir à une possibilité jamais envisagée alors, celle de devenir briseur de sorts. Oh, il escomptait toujours devenir mangemort, ça n'avait pas changé, mais peut-être devait-il envisager de travailler en parallèle ? Pour s'autoriser une couverture, et pour avoir une place établie quand son maître aurait pris le pouvoir...

Il devait encore y réfléchir, et c'était pour cette raison qu'il avait emprunté tous ces livres à la bibliothèques qu'il épluchait à présent et qui avaient pour objectif de le renseigner plus avant sur le métier de briseur de sorts... Une saine occupation qui lui permettait, l'air de rien, d'écarter de son esprit toute autre préoccupation. Et le fait est qu'il en avait réellement le plus grand besoin. Il devait sortir la tête de l'eau, il devait cesser de penser à sa famille cabossée... Il s'en voulait d'être à ce point sensible au départ de Sirius, d'autant plus que ce dernier s'en fichait largement, de son côté, lui.

Il était donc occupé à sa lecture quand Alecto vint s'installer à côté de lui, à sa manière décontractée qu'elle n'avait pas avec tout le monde mais au moins avec lui. Il lui adressa un sourire.

-On a fait pire, se contenta-t-il de répondre dans un haussement d'épaules sans s'épancher. Pas la peine, ce serait voler la vedette à son amie, et il savait que cette dernière adorait accaparer l'attention. Ce qui en l'occurrence l'arrangeait plutôt bien. Raconte-moi ta journée épouvantable, va, je sais que t'en meurs d'envie.

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a réponse d'Alecto fit doucement sourire Regulus. La nonchalance avec laquelle elle s'exprimait au sujet de ses frasques faisait qu'on les lui pardonnerait presque. Sur ce point, elle avait quelques points communs avec son frère. Pas qu'il tienne à les comparer, mais il constatait seulement que ce qui l'agaçait profondément chez Sirius ne le contrariait pas du tout chez sa camarade. Même s'il était loin d'adopter ses méthodes. Lui était très rigoureux, parfaitement respectueux du règlement de l'école, ne se verrait certainement pas faire ce genre de choses (même s'il n'était pas irréprochable non plus), mais Alecto n'en faisait toujours qu'à sa tête, et trouvait quand même les moyens de s'en plaindre.

Il était dans tous les cas heureux de constater que la jeune femme n'avait pas vraiment à se plaindre de quoi que ce soit de grave. Oui, des heures de retenue, ce n'était jamais quelque chose d'agréable, mais ce n'était pas la fin du monde non plus, loin de là, et elle réussissait par ailleurs à en parler avec suffisamment d'indifférence pour que Regulus n'ait pas le sentiment qu'Alecto aille vraiment mal. C'était une bonne chose. Regulus avait besoin que les gens autour de lui aillent au mieux pour faire taire son propre vague-à-l'âme qui n'était pas tant injustifié qu'injustifiable, même s'il pensait honnêtement qu'Alecto serait capable de l'entendre s'il lui en parlait (si elle ne l'avait pas déjà deviné) quand bien même lui n'était pas sûr de vouloir se lancer dans un sujet de conversation tel que celui-ci, qui avait tout de même de bonnes chances d'entamer son moral.

-Pauvre de toi, le monde conspire contre toi, je ne vois que ça, se permit de plaisanter Regulus avec un fin sourire au coin des lèvres. Il songea à lui suggérer de l'aider pour son devoir d'enchantement, mais en vérité, lui non plus n'avait pas très envie de travailler ce soir, et si Alecto avait d'autres projets en tête, il serait plutôt enthousiaste à l'idée de juste se changer les idées en compagnie de son amie. Et la connaissant, il ne doutait pas qu'elle ait de la suite dans les idées et sache précisément quoi faire pour les occuper dignement. Quoique tu décides de faire, je te suis. J'ai pas spécialement envie de bosser non plus ce soir.

De toute façon, sans surprise, il avait de l'avance sur tous ses devoirs, donc ce ne serait pas gravissime.

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n fin sourire s'esquissa au coin des lèvres du vert et argent à la remarque d'Alecto. Au fond, elle pouvait effectivement se sentir flattée. Ce n'était définitivement pas pour n'importe qui que le jeune homme aurait consenti à mettre son travail de côté pour seulement flâner. Alors oui, il avait de l'avance dans ses devoirs dans tous les cas, mais il aurait toujours trouvé un prétexte à travailler davantage, puisque rien n'était jamais assez pour lui, parce qu'il voulait constamment se dépasser lui-même. Mais une exception, un soir, n'allait pas le tuer, et il avait bien envie de juste passer un bon moment en compagnie d'une de ses amies les plus anciennes.

Il se laissa entraîner hors de la salle commune des Serpentard. Il n'était pas totalement convaincu du fait qu'ils trouveraient davantage à faire ailleurs qu'ici, mais ça lui allait très bien malgré tout de quitter cet endroit, surtout que, tout comme son amie, il se disait que selon la teneur de leur conversation, ce ne serait pas forcément un mal que l'on n'entende pas tout de leur discussion. Il laissa complètement Alecto prendre les rênes et décider du programme. Elle les entraîna tout d'abord jusqu'aux cuisines, où ils dérobèrent quelques bouteilles de bièraubeurre qu'ils iraient donc boire au bord du lac. Le programme ne lui semblait pas trop mal, d'autant plus que le temps était encore clément pour le moment. Alors oui, ils risquaient fort de manquer le couvre-feu. Mais une enfreinte au règlement de temps à autre, tant que c'était exceptionnel, ce n'était pas si grave, après tout.

Ils se posèrent donc au bord de l'eau, loin de toute âme humaine. Regulus porta la bouteille de bièraubeurre à ses lèvres et en but une première gorgée alors qu'Alecto reprenait la parole. En abordant le sujet qui fâche. Le sujet dont il ne parlait à personne... ou bien, quand il en parlait, c'était avec indifférence et mépris, comme si ça lui était égal, comme si ça ne lui faisait rien. Oui, sauf que c'était faux, et s'il pouvait leurrer pas mal de monde, il ne pouvait pas tromper Alecto. Ils se connaissaient depuis toujours, tous les deux, et surtout, elle les avait connus, lui et Sirius, avant que tout ne dégénère. Elle les avait vus amis, proches, complices.

-Y a rien à dire sur lui, dit-il tout d'abord, presque par réflexe, comme un mécanisme de défense. Mais après une nouvelle gorgée de boisson, il accepta d'en dire plus... ce qu'il n'osait même pas dire à Barty de peur que ce dernier ne le comprenne pas. Ca me fait chier, qu'est-ce que tu veux que je te dise de plus ? Et le pire, c'est que lui, il en a rien à battre. Il est tellement fier d'être parti, il arrête pas de s'en vanter. Il s'en fiche... de m'avoir abandonné.

Voilà, les mots qu'il ne devait surtout pas dire. Mais qu'il avait prononcés quand même.

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u fond, Alecto avait eu raison de la pousser à parler, à se confier, parce qu'il l'avait bien senti, à mesure que les mots s'échappaient de ses lèvres : que même si c'était douloureux, même si c'était un aveu de faiblesse, articuler directement et à voix haute ce qu'il pensait sans daigner le dire à qui que ce soit, ça lui faisait du bien. Ses problèmes n'étaient miraculeusement pas résolus pour autant, rien n'avait changé pour autant, mais au moins, l'espace d'un instant, il retirait son masque d'impassibilité, daignait admettre qu'il avait été touché. Le masque retrouverait très vite une place de choix sur son visage, parce que Regulus avait trop de fierté, mais là, en cet seconde, et entre deux gorgées de bièraubeurre, il remerciait silencieusement Alecto de l'écouter, d'autant plus qu'il savait pertinemment que cette dernière était tout sauf quelqu'un d'altruiste.

Tout sujet qui ne la concernait pas directement avait les meilleures chances de l'ennuyer profondément, mais elle avait pris le temps, la peine de lui adresser une oreille attentive, et maintenant elle prenait le temps et la peine de lui répondre et de le conseiller. Elle se permettait de nuancer son propos, et il se demanda si elle ne se contentait pas juste de lui dire ce qu'il avait envie d'entendre, rien d'autre. Forcément, il y songeait, parfois, il se disait que Sirius se donnait de grands airs, mais qu'il était plus affecté qu'il ne le prétendait, que c'était pour ça qu'il avait cherché à le détourner à son tour de leurs parents, mais il n'était pas convaincu. Au contraire, ce genre d'attitude lui laissait plutôt entendre que Sirius pensait avoir raison. Il avait renié sa famille avant qu'elle ne le renie, et il pensait se trouver dans le camp du bien... Il hocha la tête en réponse à Alecto. Oui, il avait eu l'occasion de parler à Sirius, et on ne pouvait pas franchement dire qu'il en soit ressorti plus serein ou en paix avec lui-même. Au contraire, il n'en éprouvait que d'autant plus de rage et de rancœur. Et il ne pensait pas que cette rage et cette rancœur s'essouffleraient de sitôt.

-Ouais... Il a été... Il ne trouvait pas d'adjectif adéquat : blessant, insultant... mais ça lui arrachait la gueule de le dire, même si ce serait plutôt hypocrite de sa part. Lui aussi avait été blessant et insultant tout du long, mais lui se trouvait des circonstances atténuantes. Après tout, ce n'était pas lui qui avait tort de bout en bout dans cette affaire. La façon dont il a parlé de maman, en étant fier de la traiter comme la dernière des bombabouses, en plus... Il arrêtait pas de répéter qu'il était libre, je te jure, on aurait dit qu'il avait vécu au bagne toutes ces années... comme si rien n'avait compté.

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air de rien, ça lui faisait du bien de parler à ce point librement de ce qui se tramait entre lui et son frère. Il était d'usage qu'il n'ait qu'une seule réaction quand il était question de Sirius, qui s'illustrait par un souverain mépris, et ça lui avait pesé plus que ce qu'il ne s'était imaginé. C'était comme s'il portait un très lourd fardeau au quotidien, duquel il n'était pas autorisé à se débarrasser quand bien même, il le réalisait à présent qu'il pouvait s'en décharger quelques minutes, il en avait en fait le cruel besoin, plus que de n'importe quoi d'autre. Il récupèrerait bien vite ce fardeau, mais en cet instant, il se sentait plus léger. Alecto, qui était si souvent désagréable et moqueuse, ne faisait preuve ni de moquerie ni de provocation, elle prenait la peine de se mettre à sa place et de l'écouter... Et il savait qu'elle ne le considérait pas comme un faible ou un geignard, ce qu'il craignait que ses meilleurs amis - Barty en tête - pensent de lui, et à raison sans doute. Elle était l'oreille attentive, et surtout, elle semblait avoir une meilleure vue de la situation que lui-même, sans doute parce qu'elle ne s'y retrouvait pas plongée jusqu'au cou, ce qui devait considérablement aider, ne nous le cachons pas.

Il ne savait pas s'il pouvait totalement se fier à son discours quand elle affirmait que Sirius ne pensait sans doute pas tout ce qu'il avait dit sur le fait de se sentir libre, de n'avoir aucun regret, de détester leur mère... il émettrait quelques doutes à ce sujet, mais il appréciait de l'entendre. Tout comme Regulus mentait constamment en présence de son aîné pour lui dissimuler combien leur complicité d'antan lui manquait, il voulait que la réciproque soit vraie, même s'il ne faisait peut-être que se bercer d'illusions qui finiraient forcément par lui être néfastes, d'une manière ou d'une autre. Là où il lui donnait complètement raison, c'est que pour le moment, Sirius se croyait à l'abri de tout, protégé. Il devait s'imaginer qu'il avait le monde à ses pieds et que rien de mal ne pourrait jamais lui arriver : sauf qu'il avait tort. Ses choix le rattraperaient très vite, et ce serait lui qui en pâtirait.

-Ben voyons, répondit Regulus avec un sourire en coin quand Alecto fit quelques généralités sur les mecs. Elle ne lui en voulait pas. Le pire, c'est qu'elle n'avait peut-être pas totalement tort. Même s'il choisirait quand même de se considérer comme une exception. T'as sans doute raison, il finira par réaliser à quel point il a déconné. Le truc, c'est que même à ce moment-là, je pense pas qu'il reviendra, il a beaucoup trop de fierté pour ça.

Une tare évidente de la famille Black.

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h la fameuse fierté des Black ! Regulus voudrait bien arguer qu'il ne s'agissait là que d'un mythe et rien d'autre, mais de toute évidence, le mensonge serait effronté, et son interlocutrice serait la dernière à y croire, elle qui avait eu l'occasion de côtoyer les Black de suffisamment près et pendant suffisamment longtemps pour savoir très précisément de quelle manière ils fonctionnaient. La jeune femme n'était pas dupe, et là encore, ce n'était pas plus mal. Regulus n'appréciait pas forcément que l'on pointe du doigt ses travers, mais en l'occurrence, cela rendait la conversation plus facile et plus agréable.

Alecto savait comment il raisonnait, comment il fonctionnait, et elle s'adressait à lui en pleine connaissance de cet état de fait. Et l'avantage là-derrière, c'est qu'elle savait par la même occasion comment Sirius lui aussi raisonnait et fonctionnait, et forte de cela, elle pouvait anticiper leurs comportements et leurs réactions - dans une moindre mesure, cela va sans dire, mais mieux que d'autres qui ne seraient susceptibles d'entendre qu'un son de cloche ou encore les mensonges que Regulus était à présent habitué à servir à la cantonade afin de ne pas affronter en face la réalité de ses émotions.

Les mots qu'Alecto prononçait, il fallait bien qu'ils viennent d'elle pour que Regulus ne s'insurge pas immédiatement et accepte de les entendre... et de les admettre, surtout. Car oui, bien sûr, elle utilisait les bons mots, ceux qui collaient le mieux à cette situation bien précise : c'était un fait, inéluctable et avéré : Sirius manquait à Regulus. Mais ce n'était pas nouveau... ça ne remontait pas à son départ de la demeure des Black mais à plusieurs années déjà, quand s'était créée cette rupture entre eux, quand Sirius, tout à coup et comme venant de nulle part, avait fini par décréter que sa famille n'en valait pas la peine, qu'ils étaient tous des monstres et qu'il les détestait tous autant qu'ils étaient. Donc lui aussi sans doute. Lui dire ce qu'il en pensait ? Briser la glace ? Alecto avait souvent de l'intuition et de bonnes suggestions mais là, clairement, il refusait de l'écouter.

-Et puis quoi encore ? Pour qu'il se paye ma tronche en plus du reste ? C'est hors de question ! Plutôt me faire mordre par un scroutt, se rembrunit vivement le vert et argent. Pour ce que ça servirait, si ce n'est à se foutre de ma gueule... Là, il n'était pas forcément juste, mais il était juste incapable d'admettre que les choses pourraient peut-être aller dans son sens. C'est pas à moi d'aller vers lui, de toute manière, c'est lui qui déconne à plein régime...

Mais évidemment, s'ils attendaient chacun de leur côté que l'autre fasse le premier pas, ça n'avait aucune chance d'arriver.

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